C'est
au plan religieux que la Révolution conciliaire apparaît pour ce qu'elle
est : un véritable demi-tour de l'Église, une inversion de son message.
J'attire votre attention sur ce point, il me semble que nous touchons
déjà à l'essentiel de notre critique du Concile. Dans cette idée de
service de l'homme, dont le Père Congar a bien dit qu'il s'agissait sans
doute de la notion clé du Concile, il y a un renversement de la religion
chrétienne traditionnelle qui produit un changement dans l'identité
spirituelle des chrétiens. Dans la perspective traditionnelle, l'homme
est au service de Dieu, qui est la fin, le but de son existence ; et
c'est pourquoi le chrétien est au service du Christ et de son Église.
Ici, c'est l'inverse qui apparaît, nous aurons à nouveau l'occasion de
le vérifier ...et à maintes reprises. l'Église du Concile est au service
de l'homme, sa mission est humaine, souverainement humaine, l'homme est
sa route comme dira le pape Jean Paul II dès sa première encyclique,
l'homme est son but et le critère de toutes ses préférences. L'Église
devient un simple moyen au service de l'homme, elle doit s'adapter
selon les nécessites de ce service. Mes bien chers frères, non seulement
on peut dire que les Pères conciliaires ont oublié la nouveauté
chrétienne et qu'ils se sont laissé fasciner par la nouveauté mondaine,
mais ils ont même détruit toute possibilité d'exprimer la nouveauté
chrétienne, en la faisant systématiquement passer sous la toise de
l'Homme, de cet "homme" au sujet duquel croyants et incroyants
ont « un avis concordant » et qui doit être considéré comme la fin de
tout l'univers. L'Homme peut et doit désormais censurer la nouveauté
chrétienne, puisque l'Église s'est mise à son service.
On
peut donc aller jusqu'à dire - c'est l'accusation la plus grave qui soit
- que le Concile a détruit la nouveauté chrétienne et qu'il l'a
remplacée par une nouvelle religion universelle, en laquelle les
chrétiens sont censés être experts : le service de l'Homme. Comment une
telle substitution a-t-elle été possible ? Comment une telle
inversion a pu s'imposer si facilement et détourner le cours de
l'histoire de l'Église ? Plusieurs protagonistes importants de la
réforme conciliaire ont évoqué une révolution. C'est le cas du
cardinal Suenens, dont la célèbre formule « Vatican II, c'est 1789 dans
l'Église » a fait le tour du monde. C'est aussi le cas du Père Congar,
même s'il a paru désavouer l'expression à l’emporte-pièce qu'il
avait utilisée au cours de la IIème session du Concile, le 30 octobre
1963 : « L'Église a fait pacifiquement sa révolution d'Octobre. »
Il
est vrai qu'en faisant de l'homme une fin, l'Église le met en quelque
sorte sur le même plan que Dieu Lui-même. On reconnaîtra dans cette
déification un trait permanent de l'esprit révolutionnaire. Mais il faut
souligner que cette révolution est advenue par le fait de l'autorité
elle-même qui a clairement énoncé les termes d'une nouvelle
religiosité. Pourquoi cette inversion s'est-elle imposée si facilement
demandions-nous : parce qu'elle a été imposée par l'autorité
supérieure. Le bouleversement dans l'Église s'est donc effectué sur un
plan purement doctrinal et non pas simplement dans un renversement des
structures et dans une destruction de l'autorité. Cette révolution d'en-haut
apparaît en tout cas dans l'histoire comme une forme inédite de
révolution.
Face
à cet événement, la tâche et la responsabilité historique des
traditionalistes est de transmettre au siècle qui vient les formes
grandioses de la liturgie et de la théologie où se conserve la religion
traditionnelle. Non pas en s'enfermant dans une sorte de réserve
d'Indiens, non pas en se faisant passer pour des Mohicans spirituels, mais
en rendant témoignage avec audace à la nouveauté chrétienne, à sa
radicalité inassimilable et à sa permanente jeunesse. Dans cette
convergence entre la tradition la plus assurée et l'exigence chrétienne
la plus noble, se construit, loin de toute routine et de tout
conservatisme, l'avenir de l'Église romaine. |