Centre Saint Paul

"Vatican II et l'Évangile" - abbé G. de Tanoüarn

Blog de l'auteur
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Accueil - couverture
Préface, par l'abbé Régis de Cacqueray

Introduction - Oublier Vatican II ?

Première partie - Le Concile comme paysage
Chapitre 1 - Le chrétien dans le monde
Chapitre 2 - Nouveauté chrétienne - nouveauté conciliaire
Chapitre 3 - La paix du Christ et la paix du Concile
Chapitre 4 - Un nouvel homme, une nouvelle religion

Chapitre 5 - La liberté du Christ et la liberté religieuse

Chapitre 6 - Le culte chrétien et le culte conciliaire

Premier bilan

Deuxième partie - Une clef pour Vatican II

Chapitre 7 - Prélude philosophique
Chapitre 8 - Liberté religieuse, le conflit des interprétations
Chapitre 9 - Vatican II et la transmission de la foi
Chapitre 10 - Liberté et vérité dans l'Évangile
Chapitre 11 - Quel est ce droit ?
Chapitre 12 - Quel est ce Règne ?
Conclusion
Annexes

Liste des abréviations utilisées

 
(C) Abbé de Tanoüarn
12 rue Saint-Joseph
75002 Paris
01.40.26.41.78
Chapitre 7 - Prélude philosophique

“ La philosophie, elle aussi, a son millénarisme ” E. Kant

Nietzsche restera dans l'histoire de la pensée comme celui qui a annoncé la mort de Dieu. La déclaration la plus caractéristique et la plus conforme à la tonalité intellectuelle fondamentale de l'ingénieux Sarmate se trouve dans un recueil d'aphorismes et de textes courts : Le gai savoir (§125). il importe, je crois, de le citer presque intégralement, pour mieux apprécier l'événement culturel qu'il décrit : “ Vous n'avez jamais entendu parler du fou qui un beau matin alluma sa lanterne, courut au marché et cria sans cesse : "Je cherche Dieu, je cherche Dieu". Parce qu'il se trouvait là un grand nombre de personnes qui ne croyaient pas en Dieu, il suscita une immense rigolade. Est-ce que le bon Dieu a été perdu ? demanda l'un. Est-ce qu'il s'est échappé comme un gamin ? disait l'autre. Ou encore : S'est-il caché ? A-t-il peur de nous ? Est-il monté sur un navire ? A-t-il émigré ? criaient-ils en ricanant entre eux. L'homme fou bondit vers eux et les transperça de ses regards : "Où Dieu est-il allé ?" cria-t-il. "Je vous le dis, nous l'avons tué, vous et moi. Nous sommes tous des assassins ! Mais comment l'avons-nous fait ? Comment avons-nous pu avaler la mer ? Qui nous a donné l'éponge pour effacer tout l'horizon ? Qu'avons-nous fait, quand nous avons dégagé la terre de son soleil ? Vers où s'en va-t-il maintenant ? Dans quelle direction nous dirigeons-nous ? Loin de tout soleil ? Ne nous jetons-nous pas en bas continuellement ? En arrière, en avant, de tous côtés ? Y a-t-il encore un dessus et un dessous ? Ne nous égarons-nous pas dans un néant infini ? L'espace vide ne nous soulève-t-il pas de son haleine pour nous aspirer ? Ne fait-il pas maintenant plus froid ? Est-ce que la nuit ne tombe pas toujours et toujours plus nuit ? Ne devons-nous pas allumer les lanternes le matin ? N'entendons-nous pas le bruit des fossoyeurs qui ensevelissent Dieu ? Ne sentons-nous pas l'odeur de la putréfaction divine ? Même les dieux se putréfient ! Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et nous l'avons tué ! Comment nous consolons-nous, nous les plus assassins de tous les assassins ? La chose la plus sainte et la plus puissante qu'ait jusqu'ici possédée le monde est saignée à blanc, égorgée sous nos couteaux. Qui nous lavera en nous purifiant de ce sang ? Avec quelle eau pourrons-nous nous purifier ? Quels rites d'expiation, quelle fête sacrée devons-nous inventer ? La grandeur de cet acte n'est-elle pas trop grande pour nous ? Ne devrons-nous pas devenir des dieux nous-mêmes, pour seulement apparaître dignes d'eux ? il n'y eut jamais une action plus grande, et tous ceux qui naîtront après nous appartiennent, grâce à cette action, à une histoire supérieure à toutes celles qui ont existé jusqu'à maintenant". Là, l'homme fou se tut et il regarda bien en face ses auditeurs ; eux aussi se taisaient et ils le regardaient tout surpris. Finalement, il lança à terre sa lanterne qui se brisa en morceaux, et il dit : "J'arrive trop tôt, ce n'est pas encore mon heure. Cet événement monstrueux s'est ébranlé, il est en route, il n'est pas encore arrivé aux oreilles des hommes..."”

Ce texte est long ; il est essentiel dans l'histoire de la pensée européenne. Il établit clairement de quelle nature est cette mort de Dieu qui est le point de départ de tout intellectuel se posant la question religieuse. Dieu est mort car les hommes l'ont tué. Dieu est mort parce que la liberté humaine ne pouvait plus supporter son existence. Cet événement est d'ordre culturel, ce qui implique que la mise à mort “ au couteau ”, est un acte collectif, un monstrueux prodige du sacrilège.

Selon Nietzsche, ce sacrilège doit être la source du bonheur moderne. Il est au principe du véritable Gai savoir ; il constitue les prémisses de toute philosophie nouvelle : “ En vérité, nous les philosophes, les esprits libres, à la nouvelle que Dieu est mort, nous nous sentons illuminés d'une nouvelle aurore ; notre cœur en cela déborde de gratitude, de stupeur, de pressentiment, d'attente ; finalement, l'horizon nous paraît de nouveau libre ; la mer, notre mer est de nouveau ouverte devant nous. Peut-être n'a-t-il jamais existé une mer aussi ouverte ? ” (§343).

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