On
retrouve l'infirmité originelle du libéralisme philosophique dans la
justification théologique de Dignitatis humanae, que proposait le
Père André-Vincent et que le Père de Margerie a largement reprise. L'un
et l'autre, en partant uniquement du texte conciliaire, en arrivent à
nier la nécessité de l'autorité dans l'acte de foi. Ils estiment sans
doute que cela ne constitue pas un grand dommage, alléguant que
l'autorité politique aujourd'hui ne manifestera jamais plus aucune forme
de préférence vis-à-vis de la foi chrétienne. Il est vrai que le Père
André-Vincent n'était pas homme à majorer les mérites spirituels de la
démocratie moderne. Ce n'était pas précisément un
démocrate-chrétien. Mais il a manifestement sous-estime le lien entre
théorie juridique et projet théologique. Faisant l'impasse libérale sur
la question de l'autorité politique, il oubliait ipso facto l'autorité
de la Parole de Dieu qui est pourtant la source de la foi elle-même,
comme nous l'avons indiqué à la fin du chapitre précédent.
Reprenons,
par exemple, le vieux traité du Père Garrigou-Lagrange sur la
Révélation (certainement l'une de ses œuvres les plus abouties). Le
dominicain nous avertit, dans le roide langage de la scolastique, que le motif
formel de l'acte de foi, c'est l'adhésion à l'autorité du Dieu qui
se révèle. L'acte de foi, cette prière que nous devrions
réciter tous les jours, ne dit pas autre chose : “ Mon Dieu, je crois,
parce que vous ne pouvez ni vous tromper ni nous tromper. ”
A
en croire Margerie après André-Vincent, la dignité ontologique de la
personne humaine doit se manifester dans la libre recherche de la
vérité. Cette vision de l'homme est certainement pétrie de bonnes
intentions. Mais que devient l'autorité de la Parole divine, seule source
de la foi, dans cette perspective ? Certes, ni l'un ni l'autre de ces
deux théologiens ne voudraient la nier. Encore moins la renier. Mais, au
moment où ils adoptent la théorie conciliaire de la liberté de
conscience, ils se condamnent à mettre entre parenthèses l'autorité
divine de la Parole qui nous sauve.
Après
Vatican II, il ne peut plus être question de l'autorité de Dieu qui
seule conduit l'homme au vrai, puisque la liberté laissée à la
recherche suffit désormais, paraît-il, pour amener chaque individu à
découvrir la vérité surnaturelle. L'autorité de la Parole divine, qui
engendre ce que saint Paul appelle “ l'obéissance de la foi ”
disparaît au profit d'une sorte d'infaillibilité immanente à toute
quête humaine.
Cette
attitude est évidemment déraisonnable pour quiconque l'examine
sérieusement. Non seulement elle préjuge d'une sorte de bonté native de
l'homme, qui est censé aller de lui-même à la vérité (au mépris de
ce que la Bible nous enseigne sur le péché originel), non seulement elle
confond l'ordre naturel auquel l'homme accède par ses propres forces et
l'ordre surnaturel auquel il ne peut s'élever que par la Révélation et
par la grâce de Dieu, mais surtout elle fait de la conscience humaine
l'unique médiatrice de l'Absolu.
Bien
entendu, ni André-Vincent ni Margerie n'ont voulu cela, mais ils y sont
contraints par la logique des concepts qu'ils avalisent et par les textes
conciliaires qu'ils admettent sans examen. Le paradoxe, s'il était
poursuivi jusqu'au bout, indiquerait que ces deux esprits éminemment
traditionnels, pour défendre l'autorité traditionnellement reconnue à
un concile, en viennent à élaborer une théorie de l'acte de foi au sein
de laquelle l'autorité de Dieu n'est plus considérée comme
déterminante.
Certains
penseront peut-être que j'exagère en radicalisant des concepts qui ne
demandaient qu'à rester sagement assis dans leur coin. D'autant qu'ils
n'avaient - me dira-t-on ! - aucune force de nuisance. |