Il
m'a paru important, face aux théologiens qui discutent aujourd'hui de
liberté religieuse comme d'autres, autrefois, du sexe des anges, de
prendre un point d'ancrage dans l'Évangile lui-même, pour essayer de
résoudre les difficultés posées par la lettre du Concile. On sait que
le Père Congar a avoué à Eric Vatré (dans un livre d'entretiens
intitulé La Droite du Père) que l'idée conciliaire de liberté
religieuse n'apparaissait pas dans l'Ecriture : “ On a cherché et on
n'a pas trouvé ” disait-il en toute simplicité. De fait, dans le
volume officiellement consacré aux divers commentaires de Dignitatis
humanae, le Père Benoît, exégète patenté, directeur de l'Ecole
biblique de Jérusalem, passe plus de temps à expliquer ce que les Pères
auraient dû dire qu'à commenter le texte conciliaire tel qu'il est. Il
faut croire qu'il apparaissait vraiment comme pauvre en références
bibliques ! Nous voudrions montrer ici, non seulement que la liberté
religieuse ne puise aucun titre, ne retire aucune légitimité de la
Parole révélée par Dieu, mais que l'Enseignement divin s'y oppose
diamétralement, et cela sous deux aspects. D'abord, les textes sacrés
comportent une doctrine formellement exprimée sur le rapport entre
liberté et vérité, qui contredit explicitement le paragraphe 3 de Dignitatis
humanae. D'autre part, la doctrine conciliaire du service de l'homme
se trouve infirmée à chaque page de l'Évangile, comme nous l'avons
déjà montré.
Concernant,
en premier lieu, le rapport entre vérité et liberté, il existe une
formule célèbre dans l'Évangile de saint Jean, à laquelle on se
rapportera tout naturellement : “ La vérité vous rendra libres ”
(Jo VIII, 38).
Ces
quelques mots ont fait couler beaucoup d'encre. Nombreux sont ceux qui les
ont revendiqués comme emblème de leur quête spirituelle. Mais que
signifient-ils ? Notre Seigneur subordonne très clairement la
liberté à la vérité qu'il est lui-même (cf. Jo XIV, 6). C'est en
adhérant à la vérité, que l'homme peut se libérer de tous les
conditionnements, de toutes les limitations, de toutes les étroitesses et
de la sombre dictature du désir pour devenir authentiquement ce qu'il
est. Si c'est la vérité qui rend libre, alors, comme l'aurait dit sans
doute M. de La Palice, cela signifie qu'il faut aller au vrai avant de
jouir de cette liberté. L'homme ne naît pas libre, il n'est pas
spontanément libre, mais il le devient par conquête, et en particulier
par la conquête de la vérité.
Où
nous mène cette conquête de la vérité ? On sait que, dans l'Évangile de saint Jean, la vérité ne se réduit pas à un ensemble de
propositions spéculatives, elle ne s'identifie pas à une philosophie,
encore moins à une pravda, à une vulgate idéologique quelconque. “ La
vérité, c'est moi ” dit Jésus au chapitre XIV. “ Je dis ce que j'ai
vu chez mon Père ” (Jo VIII, 38). Lorsqu'on trouve le mot “ vérité
” dans l'Évangile de saint Jean, il faut toujours faire cet effort de
concevoir que la seule vérité, c'est le Christ lui-même, non pas
seulement sa personne ineffable, comme certains théologiens aimeraient
nous le faire accroire, mais son enseignement, sa doctrine, sa parole :
“ Nul n'a jamais vu Dieu ; le Fils unique qui est tourné vers le
sein du Père, lui s'en est fait l'exégète, lui l'a fait connaître, il
nous l'a raconté ” (Jo I,18).
Lorsque
nous lisons : “ la vérité vous rendra libres ”, il faut donc
comprendre : seul l'enseignement du Christ, qui a vu le Père, nous permet
d'accéder à une liberté authentique. N'y parvient que celui qui a
conquis le Christ - comme un sportif conquiert sa couronne, ajouterait
saint Paul.
L'apôtre
des nations, qui a tant bataillé pour que les chrétiens convertis ne
subissent pas la circoncision et n'aient pas à observer les rigueurs
tatillonnes de la Loi juive, retrouve spontanément cet enseignement sur
la liberté que seul le Christ peut nous conférer : “ Là où est
l'Esprit du Seigneur, là est la liberté. ” (II Cor. 3, 17). On ne peut
en effet distinguer l'esprit de Dieu et l'esprit du Fils de Dieu et il n'y
a pas d'autre liberté véritable que “ la liberté par laquelle le
Christ nous a libérés” (Gal. IV, 31). |