J'écris
cette conclusion pour ne pas conclure, en assurant le lecteur que le
concile Vatican II apparaît comme un immense champ à prospecter pour
tous ceux qui veulent comprendre l'incroyable collapsus dont est victime
l'Église catholique aussi bien dans le monde occidental que dans ce que
l'on appelle pudiquement les pays émergents : je pense en particulier à
l'Amérique latine, où la puissance des sectes est colossale, signant en
creux l'impuissance de la catholicité.
Je
veux comprendre le traumatisme, non pas parce que je me complais, avec une
sorte de zèle amer, dans l’autoflagellation, mais au contraire, parce
que je crois que l'Église doit revivre, “ sans tache, ni rides, ni rien
de tel, mais sainte et immaculée ” comme dit saint Paul. Les défis que
nous a légués le XXème siècle sont immenses. Ils n'ont pas été
relevés et l'Église ne s'est pas relevée d'avoir mal identifié les
enjeux auxquels elle s'est trouvée confrontée. Pour comprendre ce
traumatisme, on peut convoquer les sociologues et les historiens : ils ont
leur part à notre labeur. Mais enfin, la réalité de l'Église n'est
jamais tout entière dans sa manifestation socio-historique. Il faudrait
des saints ! En attendant, c'est aussi au théologien qu'il incombe
de rappeler les extraordinaires virtualités spirituelles cachées dans la
profession pleine et entière de la foi catholique. C'est au théologien
qu'il revient de rassurer les catholiques, en leur montrant la richesse de
leur héritage.
Les
théologiens des années Cinquante ont fait Vatican II ; ils se sont
et ils nous ont trompés. Certains, nous le savons aujourd'hui, ont été
saisis par la crainte avant la fin du funeste concile. Je pense au Père
Congar par exemple. Dans son Journal du Concile, que viennent de
publier les éditions du Cerf, il n'hésite pas à pointer un doigt
inquiet sur le décret Dignitatis humanae tel qu'il a été
rédigé. Oh ! Certes, il redit son adhésion au document, mais, en
tant qu'historien, il ne peut cacher son embarras : “ Notre déclaration
sur la liberté religieuse - dont j'admets la doctrine - va avoir des
conséquences imprévisibles pendant deux ou trois siècles. Je suis
convaincu qu'elle aura de bons fruits : elle dissoudra des amoncellements
de méfiance à l'égard de l'Église catholique. Mais il ne faut pas
s'illusionner : elle apportera pratiquement de l'eau au moulin de
l'indifférence religieuse et de cette conviction aujourd'hui si répandue
que toutes les règles de la moralité sont dans la sincérité et
l'intention subjective. ”
Deux
ou trois siècles ! L'historien n'y va pas de main morte en
prévoyant des dégâts dont l'ampleur reste selon lui “ imprévisible
” ! Quant au théologien qu'est aussi le Père Congar, il évoque
lucidement la dissolution “ des règles de moralité ” ; mais,
dans ce texte jeté à la hâte sur le papier d'un Diaire qu'il
tenait fidèlement presque chaque jour, il aurait pu ajouter, pour faire
bonne mesure : “ Non seulement les règles de la moralité mais les
normes de la fidélité religieuse sont désormais dans la sincérité et
dans l'intention subjective de chaque croyant ”, il aurait
spontanément retrouvé ainsi la clé que nous proposons au lecteur pour
ouvrir le texte de Vatican II et pour comprendre le col-lapsus dont l'Église est victime. Nous croyons, quant à nous, qu'il n'y a rien
d'exorbitant, quarante ans après le Concile, à reprendre et à prolonger
un constat qui s'est tellement vérifié dans les faits.
Oh !
Bien sûr, l'Église de Vatican II croit transmettre la foi, puisque
officiellement la représentation de cette foi, dans l'ensemble des
dogmes, apparaît comme indemne. Malgré toutes les remises en question,
le déroulé des dogmes est officiellement sauf, ainsi qu'en témoigne par
exemple (malgré sa prédication résolument conciliaire) une œuvre comme
le Catéchisme catholique. Mais cette représentation correcte de
la foi n'est pas encore la foi, elle en est uniquement le concept et l'on
ne transmet pas la foi comme un concept.
En
oubliant méthodiquement l'autorité de la parole transmise, les Pères
conciliaires ont laissé aux générations de chrétiens à venir une
parole sans nerf, sans énergie, sans ressort, une belle image que l'on
s'empresse d'oublier, comme toutes les images, il ne faut pas s'étonner
si la déchristianisation est et sera toujours proportionnelle à la
diffusion de l'enseignement de ce concile. Avec les meilleures intentions
du monde, les Pères ont créé le désert, en éteignant dans la parole
dont ils avaient la garde, ce feu sacré de l'autorité qui la profère et
qui la garantit. |