Au
fond, ce qui est en question dans la liberté religieuse, c'est le salut
apporté par le Christ. Si nous ne sommes pas capables de voir que le
péché est un esclavage, que les désirs de la chair nous enchaînent à
une logique de mort comme j'essayais de vous l'expliquer un dimanche
précédent, si en tant qu'hommes nous nous sentons déjà divinisés, à
quoi sert Jésus-Christ ? A quoi donc sert son Église ? Si,
comme le dit Jésus au chapitre Vin de l'Évangile de saint Jean, nous ne
voyons pas que nous sommes esclaves du péché, nous ne pouvons devenir en
vérité les disciples du Christ. Si comme les juifs, nous répétons que
nous sommes fils d'Abraham et que nous n'avons jamais été les esclaves
de personne parce que nous sommes nés libres, alors jamais le Christ ne
pourra venir nous libérer.
Mes
bien chers frères, nous autres prêtres, nous voyons aujourd'hui
quantité de personnes qui s'approchent du Christ, qui veulent l'aimer,
qui aiment la beauté des rites, l'enthousiasme des chants sacrés, qui
sentent obscurément que la lumière du Bien monde l'autel de
Jésus-Christ. Mais tant que ces gens ne se sont pas reconnus pécheurs,
tant qu'ils ne se sont pas prosternés devant Dieu, tant qu'ils ne se sont
pas laissé transpercer par ses reproches à leur égard, ils ne sont pas
chrétiens, ils ne sont pas prêts à subir la merveilleuse métamorphose
qui, seule, les affranchira définitivement.
Et
les chrétiens eux-mêmes ? Eh bien justement, parlons-en : tant
qu'ils se considèrent comme les meilleurs, tant qu'ils imaginent qu'ils
sont des justes et que les autres ne le sont pas, tant qu'ils donnent
l'impression de n'avoir pas besoin du salut apporté par le Christ, ils ne
pourront pas être sauvés.
Certains
estiment que leur personne représente toujours et infailliblement l'ordre
et la volonté divine. Tant qu'ils donneront l'impression, selon la parole
malicieuse d'André Frossard sur les intégristes, qu'ils entendent faire
la volonté de Dieu que Dieu le veuille ou pas, ils ne pourront pas avoir
part au Royaume.
Une
autre objection peut venir à l'esprit. J'entends quelques-uns d'entre
vous me dire : selon vous mon Père, il faut être de grands pécheurs
pour entrer dans le Royaume, c'est-à-dire pour avoir part dans le
Paradis ?
Certains
saints, dans l'excès de leur amour, une certaine petite sainte, dans
l'excès de son amour, l'a pensé. Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus,
entrée au Carmel à 15 ans, était inquiète que le Christ lui préfère
Marie-Madeleine, la prostituée. Et elle avait mis au point ce
raisonnement digne des grandes stratégies féminines de l'amour : si Dieu
a voulu que je ne connaisse pas le péché, c'est parce que j'étais une
plus grande pécheresse que Marie-Madeleine et qu'il n'a pas voulu prendre
le risque de me perdre en me laissant y goûter... Voilà les saints.
Pensez au Curé d'Ars qui pleurait en pensant à ses péchés. Ce ne
devait pas être grand-chose ! Mais, si nous ne nous reconnaissons
pas pécheurs, nous ne pouvons pas avoir part avec le Christ. |