Le
concile Vatican II a représenté l'effort de l'Église catholique pour
anticiper la mondialisation religieuse, c'est-à-dire pour s'adapter à
l'avance à cette nouvelle donne, que les intellectuels catholiques
européens avaient appréhendée, soit à travers la philosophie
allemande, soit dans le prisme politique fourni par la Révolution
française. Dans ce contexte culturel, les plus mal-pensants sont ceux qui
refusent la nouvelle alliance réalisée sous le signe de la liberté
humaine et s'imaginent encore qu'il existe un ordre transcendant, celui de
la nature (je ne parlerai même pas pour l’instant de l'ordre de la
grâce).
Que
reste-t-il de l'Église dans ce maelström libertaire ? Pas
grand-chose.
Pas
grand-chose en tout cas de l'ancienne Église, celle qui jusqu'à Jean
XXIII inclusivement osait se dire mère et maîtresse des peuples.
Aujourd'hui, l'Église accepte de considérer que c'est le contraire qui
est vrai, que le grand mouvement d'unification et d'homogénéisation
planétaire doit la trouver à son service. Jusqu'à Pie XII, elle a osé
répéter la vieille sentence patristique : Hors de l'Église point de
salut. Elle pouvait la répéter autrefois parce qu'elle savait bien
qu'elle n'était pas seulement un organisme humain, une institution
humaine, une organisation non gouvernementale par exemple. Ses limites
réelles n'étaient pas seulement celles que définissait son droit, le
célèbre droit canon. Aujourd'hui, elle n'est pas sûre de ne pas avoir
à partager le corps mystique du Christ avec d'autres Églises et d'autres
confessions chrétiennes. Elle se sent réduite à son aspect juridique,
limitée à son extérieur en quelque sorte. C'est pour cela qu'elle se
fait désormais un devoir de ne pas répéter la formule : Hors de l'Église point de salut.
Dans
les dernières lignes du Contrat social, Jean-Jacques Rousseau
avait pu déclarer : “ Quiconque ose dire : "Hors de l'Église point
de salut" doit être chassé de l'Etat. Un tel dogme n'est bon que
dans un gouvernement théocratique, dans tout autre, il est pernicieux.
” L'Église du Concile donnerait massivement raison à ce citoyen de
Genève. C'est que Jean-Jacques avait merveilleusement compris comment
l'homme moderne est essentiellement liberté et perfectibilité
indéfinie. Aucune religion n'est en droit de fixer elle-même des limites
à ce prodigieux développement de l'espèce que l'on nomme les Lumières
et, dans l'ordre religieux, aucune autorité ne doit s'imposer au libre
exercice de la raison (pour Rousseau, le Genevois d'origine calviniste,
surtout pas l'autorité de l'Église catholique).
Pour
rencontrer Dieu en vérité aujourd'hui, un homme simple n'a besoin que
d'un chemin de Damas, ce qui ne coûte rien à la bonté inventive du
Très Haut. Je suis persuadé qu'il existe aujourd'hui beaucoup plus de
chemins de Damas qu'on ne le pense, tant il est vrai que l'essentiel reste
toujours invisible pour les yeux.
L'intellectuel,
en revanche, est tout à fait défavorisé parce que son chemin de Damas
à lui, il devra le médiatiser dans un bain de culture assez peu
ragoûtant, qui est celui que nous avons essayé de décrire. Dans ces
conditions, évidemment, il ferait beau voir que Dieu lui apporte sa
grâce sur un plateau, l'intello, l'étudiant, le "jeune"
inculte mais qui a déjà tout compris, le vieux qui se répète et qui ne
s'en rend pas compte, tous ces raisonneurs seraient encore capables de
mettre en discussion l'intervention divine et de proposer au Très Haut
une approche pluraliste et réellement respectueuse de la diversité des
races et de l'égalité des sexes, au terme de laquelle il apparaîtrait
que la non-ingérence du divin dans l'humain doit être reconnue dans tous
les cas comme la meilleure solution.
Il
ne faudrait peut-être pas oublier que si Dieu est mort, c'est parce que
la liberté de l'homme l'a tué. "Au couteau", précise
Nietzsche, qui ne prétend pas avoir perpétré lui-même ce meurtre,
même s'il y acquiesce et s'en réjouit.
Ceux
qui croient pouvoir retrouver Dieu, sans se préoccuper d'expier ce crime,
sans chercher à sortir de ces miasmes ne comprennent pas qu'ils sont
souvent à la poursuite d'une image (rassurante, sécurisante, paternelle)
et non de la réalité divine. C'est le drame de toutes les nouvelles
religiosités, de tous les personnalismes religieux, de n'avoir pas
compris qu'on ne bâtit pas une démarche religieuse authentique, avec les
prémisses du nihilisme européen et de la mort de Dieu.
J'ose
dire que, devant l'histoire, c'est cette responsabilité-là que le
mouvement traditionaliste porte sur ses épaules : retrouver le culte
d'avant la mort de Dieu, fermer la parenthèse subjectiviste et
révolutionnaire, redécouvrir l'autorité sacrée de la Parole divine,
devant laquelle chacun devra plier les genoux, s'il ne veut pas crever de
son délire libertaire. |