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- Enfin selon ces gens (tels que les décrit et tels que les abomine
Maurice Blondel) “ le surnaturel (chrétien) est une superposition
gratuite (...) sans que le don extérieur puisse ou doive comporter un
apport intérieur ”.
On
saisit, à ce dernier trait, combien Blondel est une sorte de Protée,
qu'il est difficile de situer avec précision. En 1909, il déclare que
l'esprit chrétien mourrait s'il était “ issu de nous ”, comme
en témoigne le premier extrait que nous avons cité. Mais en 1910, dans
une polémique qui restera célèbre, il affirme qu'il y a “ un apport
intérieur ” de chacun à la foi qu'il reçoit de Dieu. Quel est donc
cet apport ? Histoire ? Culture ? Aspirations ? Un peu
tout cela sans doute...
Pour
mieux situer notre philosophe, revenons sur ce qu'il rejette à travers
cette appellation qui lui est toute personnelle de monophorisme ? Il
rejette vigoureusement le réalisme de la connaissance ; il refuse
l'objectivité des sciences ; il récuse un don de Dieu sans
"apport" de l'homme.
Concrètement
cela signifie de sa part une ferme condamnation de l'essentialisme
thomiste, une horreur viscérale pour la "science politique",
c'est-à-dire pour le droit naturel et chrétien tel que l'ont enseigné
les papes, surtout Léon XIII et Pie XII. Enfin, il déteste la transmission intangible du dogme
chrétien par mode d'autorité.
A
l'essentialisme, il substitue une sorte d'existentialisme avant la lettre,
où ce qui vaut avant tout c'est l'intuition du continu et de la vie dans
son mouvement (et non la perception claire et distincte des
représentations). Au droit naturel, il substitue un moralisme chrétien,
fondé sur l'exaltation de la conscience humaine et sur la perspective de
l'unité finale du genre humain.
Enfin, à la transmission intangible des dogmes, il préfère l'idée
d'une Tradition vivante, qui s'enrichit au cours des temps de la piété
des fidèles et du mouvement de l'histoire.
Puisque
Blondel est l'inventeur du terme extrinsécisme, on a essayé de fixer sa
doctrine, à travers cette polémique de La semaine sociale de
Bordeaux, où il se révèle tout entier. Alors même qu'il a pu
parfois (et très tôt) faire l'apologie d'une forme d'extrinsécisme
contre certains de ses disciples jugés trop radicaux, il a introduit
durablement dans le catholicisme cette dialectique entre les
extrinsécistes et les intrinsécistes, qui est une dialectique mortelle
pour l'Église, mais à la faveur de laquelle se sont développés, chez
les intellectuels chrétiens du XXème
siècle,
une sorte de mépris systématique pour le passé et une longue idylle
avec le présent du monde. L'impact premier du blondélisme, c'est une
sorte d'existentialisme fiévreux qui saisit l'Église tout entière à
Vatican II. N'en a-t-on pas comme une préfiguration dans ce qu'écrivit
Mgr Montini au philosophe d'Aix, le 2 décembre 1944 : “ Votre
charité intellectuelle de Bon Samaritain, en se penchant sur l’humanité
blessée, en s'efforçant de la comprendre et en lui parlant son langage,
contribuera efficacement à la replacer dans les indéclinables et
salvatrices perspectives de sa vocation divine ”.
Vingt ans plus tard, devenu pape sous le nom de Paul VI,
le
cardinal Montini conclura le Concile sur cette image du Bon Samaritain,
qui lui était venue une première fois tout naturellement à propos de
Blondel. Il oubliait que, comme le dit saint Augustin, le Bon Samaritain,
c'est le Christ, notre maître intérieur à tous. Quant à l'Église, elle
n'est pas le Samaritain, mais simplement l'hôtellerie, où tout doit
demeurer intangible, pour accueillir les blessés de la vie avec une
efficacité vraiment divine et non dans les improvisations d'un humanisme
bricolé à la dernière minute. |