Centre Saint Paul

"Vatican II et l'Évangile" - abbé G. de Tanoüarn

Blog de l'auteur
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Préface, par l'abbé Régis de Cacqueray

Introduction - Oublier Vatican II ?

Première partie - Le Concile comme paysage
Chapitre 1 - Le chrétien dans le monde
Chapitre 2 - Nouveauté chrétienne - nouveauté conciliaire
Chapitre 3 - La paix du Christ et la paix du Concile
Chapitre 4 - Un nouvel homme, une nouvelle religion

Chapitre 5 - La liberté du Christ et la liberté religieuse

Chapitre 6 - Le culte chrétien et le culte conciliaire

Premier bilan

Deuxième partie - Une clef pour Vatican II

Chapitre 7 - Prélude philosophique
Chapitre 8 - Liberté religieuse, le conflit des interprétations
Chapitre 9 - Vatican II et la transmission de la foi
Chapitre 10 - Liberté et vérité dans l'Évangile
Chapitre 11 - Quel est ce droit ?
Chapitre 12 - Quel est ce Règne ?
Conclusion
Annexes

Liste des abréviations utilisées

 
(C) Abbé de Tanoüarn
12 rue Saint-Joseph
75002 Paris
01.40.26.41.78
Annexe II : Saint Thomas, Maurice Blondel et l’extrinsécisme

3 - Enfin selon ces gens (tels que les décrit et tels que les abomine Maurice Blondel) “ le surnaturel (chrétien) est une superposition gratuite (...) sans que le don extérieur puisse ou doive comporter un apport intérieur ”[1].

On saisit, à ce dernier trait, combien Blondel est une sorte de Protée, qu'il est difficile de situer avec précision. En 1909, il déclare que l'esprit chrétien mourrait s'il était “ issu de nous ”, comme en témoigne le premier extrait que nous avons cité. Mais en 1910, dans une polémique qui restera célèbre, il affirme qu'il y a “ un apport intérieur ” de chacun à la foi qu'il reçoit de Dieu. Quel est donc cet apport ? Histoire ? Culture ? Aspirations ? Un peu tout cela sans doute...

Pour mieux situer notre philosophe, revenons sur ce qu'il rejette à travers cette appellation qui lui est toute personnelle de monophorisme ? Il rejette vigoureusement le réalisme de la connaissance ; il refuse l'objectivité des sciences ; il récuse un don de Dieu sans "apport" de l'homme.

Concrètement cela signifie de sa part une ferme condamnation de l'essentialisme thomiste, une horreur viscérale pour la "science politique", c'est-à-dire pour le droit naturel et chrétien tel que l'ont enseigné les papes, surtout Léon XIII et Pie XII. Enfin, il déteste la transmission intangible du dogme chrétien par mode d'autorité.

A l'essentialisme, il substitue une sorte d'existentialisme avant la lettre, où ce qui vaut avant tout c'est l'intuition du continu et de la vie dans son mouvement (et non la perception claire et distincte des représentations). Au droit naturel, il substitue un moralisme chrétien, fondé sur l'exaltation de la conscience humaine et sur la perspective de l'unité finale du genre humain[2]. Enfin, à la transmission intangible des dogmes, il préfère l'idée d'une Tradition vivante, qui s'enrichit au cours des temps de la piété des fidèles et du mouvement de l'histoire[3].

Puisque Blondel est l'inventeur du terme extrinsécisme, on a essayé de fixer sa doctrine, à travers cette polémique de La semaine sociale de Bordeaux, où il se révèle tout entier. Alors même qu'il a pu parfois (et très tôt) faire l'apologie d'une forme d'extrinsécisme contre certains de ses disciples jugés trop radicaux, il a introduit durablement dans le catholicisme cette dialectique entre les extrinsécistes et les intrinsécistes, qui est une dialectique mortelle pour l'Église, mais à la faveur de laquelle se sont développés, chez les intellectuels chrétiens du XXème siècle, une sorte de mépris systématique pour le passé et une longue idylle avec le présent du monde. L'impact premier du blondélisme, c'est une sorte d'existentialisme fiévreux qui saisit l'Église tout entière à Vatican II. N'en a-t-on pas comme une préfiguration dans ce qu'écrivit Mgr Montini au philosophe d'Aix, le 2 décembre 1944 : “ Votre charité intellectuelle de Bon Samaritain, en se penchant sur l’humanité blessée, en s'efforçant de la comprendre et en lui parlant son langage, contribuera efficacement à la replacer dans les indéclinables et salvatrices perspectives de sa vocation divine [4]. Vingt ans plus tard, devenu pape sous le nom de Paul VI, le cardinal Montini conclura le Concile sur cette image du Bon Samaritain, qui lui était venue une première fois tout naturellement à propos de Blondel. Il oubliait que, comme le dit saint Augustin, le Bon Samaritain, c'est le Christ, notre maître intérieur à tous. Quant à l'Église, elle n'est pas le Samaritain, mais simplement l'hôtellerie, où tout doit demeurer intangible, pour accueillir les blessés de la vie avec une efficacité vraiment divine et non dans les improvisations d'un humanisme bricolé à la dernière minute.

[1] M. BLONDEL (sous le pseudonyme de Testis) La semaine sociale de Bordeaux 1910, série d'articles rééditée sous le titre (vendeur) Une alliance contre nature : catholicisme et intégrisme, avec une préface de M. Sutton, éd. Lessius, Bruxelles 2000, reproduction anastatique de l'éd. de M. Blondel, Catholicisme social et monophorisme, reprenant une série d'article des Annales de philosophie chrétiennes. La typologie de l'extrinsécisme se trouve pp. 34-35. La formule “ Tout est continu ” p. 6.

[2] Voir M. BLONDEL, Lutte pour la civilisation et philosophie de la paix, 2ème éd. 1947.

[3] L'idée de tradition vivante, qui sera reprise par son disciple le Père de Lubac en 1950, est développée par Blondel dès 1904, dans “ Histoire et dogme, les lacunes philosophiques de l'exégèse moderne ” (article recueilli in Les premiers écrits de Maurice Blondel, T. II 1956).  

[4] Cardinal POUPARD, La sainteté au défi de l'histoire, Portrait de six témoins pour le Illème millénaire, Paris 2003, cit. p. 115 (Blondel est le quatrième témoin).  

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