Aujourd'hui,
je voudrais vous entretenir d'un sujet grave, et qui est comme le
préalable à tout véritable carême, me semble-t-il. Quels rapports le
chrétien doit-il entretenir avec le monde dans lequel il vit ? Vous
savez que l'un des leitmotive du concile a été l'ouverture au monde. Je
crois que nous-mêmes, lorsque nous faisons profession d'être
anticonciliaires, nous ne mesurons pas très bien jusqu'où a été la
servilité du concile vis-à-vis du monde. Mais en même temps, parce que
nous adhérons à notre époque par l'air que nous respirons et par tous
les pores de notre peau, nous n'osons pas regarder en face les exigences
de notre vocation de chrétiens dans le monde : « Vous êtes dans le
monde mais vous n'êtes pas du monde. » dit Jésus à ses apôtres. Le
christianisme, quand on y réfléchit bien, n'est rien d'autre qu'un élan
extraordinaire de l'homme qui répond à l'appel divin pour ne pas rester
solidaire du monde et de sa corruption. « Elle passe la figure de ce
monde » dit aussi saint Paul aux Hébreux : « Nous n'avons pas sur la
terre une maison qui demeure. »
L'Apôtre,
pour désigner notre véritable statut sur la terre, pour indiquer
qu'aucun d'entre nous n'est vraiment propriétaire de son existence,
explique que nous sommes des résidents. Ce terme renvoie par son
étymologie à un mot français que vous connaissez, le mot paroisse. Paroikia,
c'est la résidence secondaire (et non l'habitation d'origine). Sur la
terre, nous sommes simplement des locataires. Qu'est-ce qu'un
résident ? Sans forcer le paradoxe, il faut dire que c'est l'homme
de passage, l'homme du voyage, le forain du Bon Dieu. En tant que
paroissiens, mes bien chers frères, si nous sommes de passage, nous
n'avons pas à nous attacher à ce qui est sur la terre : « Usez des
biens de ce monde comme n'en usant pas » nous demande saint Paul, qui ne
sait pas encore ce que c'est qu'un petit consommateur bien sage. C'est du
Ciel que nous sommes citoyens. Le Ciel est notre vraie patrie, conversatio
nostra. C'est notre milieu surnaturel, notre origine, auprès de Dieu.
Il faut parvenir à ressentir cela, à le ressentir physiquement. Être chrétien, c'est se convertir à ce qui est en haut et se détacher de ce
qui est sur la terre : Quae sursum sunt sapite, non quae super
terrant ! Là est tout le sens du Carême. Là est la vie
chrétienne, dans ce qu'elle a de plus spécifique. Là est notre vocation
de fils de Dieu.
L'esprit
du concile Vatican II, son intention profonde, sa visée, sont tout à
fait à l'opposé d'une telle fuite du monde. « L'Église au concile s'est
tournée vers l'homme, reconnaissait Paul VI
dans son discours de clôture. Elle s'est intéressée au lien
entre les valeurs humaines et temporelles et les valeurs proprement
spirituelles, religieuses et éternelles ». Qu'est-ce que ce lien
établi par le pape entre les valeurs humaines et les valeurs
éternelles ? Il ne s'agit pas seulement d'envisager les valeurs
humaines comme des moyens permettant à l'homme de s'approcher de sa fin
surnaturelle. Désormais, comme l'écrira Jean-Paul II, l'homme est la
route de l'Église et les valeurs du monde sont les valeurs que le
chrétien veut faire siennes sans hésiter. |