Dans
la constitution Gaudium et spes, on trouve une petite énumération
non limitative dès la première ligne : « Les joies et les espoirs, les
tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et
de tous ceux qui souffrent sont aussi les joies et les espoirs, les
tristesses et les angoisses des disciples du Christ. » Oh ! Cette
formule ne contient pas de grandes hérésies et comme elle est
compassionnelle à souhait, personne n'y a rien trouvé à redire. Mais
enfin relisons ! Comment l'Église peut-elle prétendre partager les
joies, les espérances, les angoisses et les tristesses des hommes de ce
temps ? Comment peut-elle affirmer qu'elle est habitée par les
mêmes passions - qui auraient les mêmes objets - que les hommes
d'aujourd'hui dans leur ensemble ? Cela est impossible. On a
l'impression que les chrétiens qui ont écrit un tel texte revendiquent
maintenant comme une vertu le fait d'être comme les autres. Les élans de
l'Église, c'est décidé, seront les mêmes que ceux de tous les petits
consommateurs d'aujourd'hui : comment peut-on écrire de telles sornettes
et y croire ? Il aurait vraiment mieux valu revenir aux textes
sacrés qui nous répètent combien, en tant que chrétiens, nous ne
sommes pas du monde. A se plonger dans l'atmosphère de Vatican II, cette
assemblée qui prétend avoir non seulement les mêmes valeurs mais les
mêmes désirs, les mêmes passions que l'ensemble des autres hommes, on
finit par oublier l'Évangile et ce cri qui pourrait le résumer : «
Malheur au monde à cause de ses scandales »...
Si
l'Église avait vraiment les mêmes joies et les mêmes espoirs que le
monde d'aujourd'hui, cela signifierait tout simplement qu'elle n'est plus
l'Église, qu'elle a perdu sa raison d'être. Car enfin, la raison d'être
de l'Église, comme « société parfaite » (Pie XI),
comme organisme physique autonome, distinct de la société civile,
c'est justement de présenter à l'humanité désorientée un autre bien
commun que le bien commun temporel, d'autres valeurs, d'autres enjeux,
tout ce qu'il faut bien appeler un nouvel ordre de réalité, une nouvelle
vie, la vie surnaturelle.
Ne
croyez pas que nous soyons tous, comme naturellement, détachés de ce
monde : que vaudrait notre foi en la patrie céleste, si elle exprimait
simplement un tempérament de misanthrope ? Dans la réalité
concrète, nous avons une terre, une patrie, un pays d'origine, et rien de
tout cela n'est mauvais en soi, au contraire ! Mais le temps du
Carême, c'est le temps où nous éprouvons la fragilité de ce qui est
terrestre : « Que sert à l'homme de gagner l'univers, s'il vient à
perdre son âme?»
Certes,
notre religion ne nous demande pas de détester les créatures : « Celui
qui n'aime pas demeure dans la mort » dit saint Jean. Mais il faut que
nous gardions clairement conscience d'avoir reçu de Dieu Lui-même tout
ce que nous aimons, tout ce à quoi nous tenons et tout ce qui nous tient.
Hélas ! notre appréhension personnelle, notre perception spontanée
des valeurs de ce monde est souvent faussée. Nous ne savons pas toujours
attribuer à chaque comportement ou à chaque objet sa véritable valeur. |