Cette
haine du monde pour tout ce qui est beau, pour tout ce qui n'est pas
ordinaire, pour tout ce qui est noble, nous savons qu'elle s'est exercée
d'abord contre Notre Seigneur Jésus-Christ : « Père, dit Jésus, je
leur ai donné ta parole et le monde les a haïs parce qu'ils ne sont pas
du monde, comme je ne suis pas du monde... » Le monde déteste tout ce
qui n'est pas médiocre comme lui ; et c'est ainsi - Notre Seigneur
nous en prévient dans l'Évangile à maintes reprises - que le juste se
trouve toujours persécuté : « Comme ils m'ont persécuté dit Jésus,
ils vous persécuteront vous aussi... »
Dans
son effort pour comprendre le monde selon l'Évangile, le Concile est
évidemment resté très loin de cette perspective. Il chante les
bienfaits d'une collaboration entre l'Église et le monde, il explique que
l'Église et le monde doivent chercher les mêmes valeurs, comme nous le
disions tout à l'heure. Il célèbre l'unité à venir du genre humain et
en discerne les prémisses dans le grand mouvement de socialisation que
l'on peut constater sur toute la planète.
Mais
les textes du Concile n'envisagent jamais que cette unité du monde à
venir doive être explicitement chrétienne. Certes, l'Église en est
présentée comme « le ferment » ou plus exactement comme l'un des
ferments, mais les chrétiens, « citoyens du monde », « doivent
collaborer avec ceux qui poursuivent les mêmes objectifs qu'eux »
(n°43, §2). Il n'est plus question dans le texte de Vatican II de cette
malice, intrinsèque au groupe humain, que nous évoquions tout à l'heure
et qui condamne d'avance comme utopique tout projet de réforme purement
humaniste.
On
ne discerne pas la moindre méfiance du Concile vis-à-vis du monde dans
le texte de Gaudium et spes, sous-titré pourtant l'Église dans
le monde de ce temps. Ni l'esprit du monde, ni les communautés
humaines souvent figées dans l'injustice, ne suscitent la moindre
condamnation ou la moindre question. On sait que l'auguste assemblée
refusa par exemple de ratifier une proposition signée par plus de quatre
cents Pères conciliaires et visant à une condamnation du communisme —
et cela à l'heure même où le communisme semblait devoir se répandre
dans tout l'univers.
Mais
il y a mieux que cela, car on peut donner divers sens au mot monde. Si
l'on entend par monde non pas seulement le monde ordinaire, celui
qui se débat dans sa médiocrité, mais plutôt l'ensemble des hommes qui
par haine du Christ se révoltent contre Dieu, on doit reconnaître que ce
monde-là aussi, ce monde anti-Christ, le pape Paul VI
l'a assuré de sa sympathie.
Essayons d'évaluer la réalité de son émotion en réécoutant un long
passage de son célèbre discours de clôture du 8 décembre 1965 : «
L'humanisme laïc et profane est apparu dans sa terrible stature et a en
quelque sorte défié le Concile. La religion du Dieu qui s'est fait homme
s'est rencontrée avec la religion (car c'en est une) de l'homme qui se
fait Dieu. Qu'est-il arrivé ? Un choc, une lutte, un
anathème ? Cela pouvait arriver, mais cela n'a pas eu lieu. La
vieille histoire du Bon Samaritain a été le modèle et la règle de la
spiritualité du Concile. Une sympathie sans borne pour les hommes l'a
envahi tout entier. La découverte et l'étude des besoins humains (et ils
sont d'autant plus grands que le Fils de la Terre se fait plus grand), a
absorbé l'attention de notre Synode. Reconnaissez-lui au moins ce
mérite, vous humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des
choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous
aussi, nous plus que tout autre, nous avons le culte de l'homme... » |