Vanité,
c'est le mot de saint Paul justement : « La création a été assujettie
à la vanité » (Rom. VIII, 20). A cause du péché, le monde est à
l'envers. Ce texte de l'Epître aux Romains a suscité quantité de
commentaires. Le grand théologien protestant Karl Barth a imaginé que la
"vanité" dont parle saint Paul, renvoyait à cette
insatisfaction, naturelle à la créature, ressentant sans cesse au plus
intime d'elle-même une sorte d'insuffisance ontologique. Mais
l'explication ne tient pas si on la confronte à la lettre même du texte.
La créature n'est pas vaine en elle-même, elle a été soumise à
la vanité. Saint Paul ne dit pas explicitement par qui la créature a
été soumise, mais il est impossible qu'elle soit née sous le signe
d'une telle soumission, alors même qu'elle a Dieu pour auteur. Ce vide,
cette artificialité, ce désespoir ontologique qui la constituent, tout
cela ne peut provenir que du péché de l'homme. C'est à cause du péché
que tout est vain, que tout va à la mort.
Au
contraire, l'Évangile nous porte la vie, il ne supprime pas mais il
transforme le désir de l'homme pour le changer en charité, pour le
métamorphoser en amour.
Pourquoi
parler de nouveauté à ce propos ? Parce que le monde ne prendra
jamais l'habitude de cet amour nouveau, qui procède, non pas d'une
volonté de posséder, mais plutôt de l'oubli de soi. Que chacun
s'examine, mes frères ! Nous-mêmes, nous appartenons à ce monde
par toutes nos fibres, nous aurons toujours du mal à accepter la
nouveauté de l'Évangile, il ne s'agit pas seulement de dire : « le
monde, c'est les autres » ou « l'enfer, c'est les autres ». Le
monde est en nous et nous savons bien, au fond, combien il nous est
difficile de ne pas renâcler sous l'aiguillon évangélique. Racine a mis
en vers une admirable formule de saint Paul, que nous pouvons tous
répéter en connaissance de cause : « Je ne fais pas le bien que j'aime,
et je fais le mal que je hais. » L'Évangile rompt avec l'égoïsme
ordinaire, avec la violence fondamentale qui est en chacun de nous. Il
apporte la paix dans l'humilité et dans la charité... Sublime et
terrible conquête ! Sublime parce qu'elle nous met dans la
familiarité de Dieu qui est charité ; terrible parce qu'elle est
arrachée à certains réflexes peu avouables de notre nature !
Ajoutons
que ce renouvellement de toutes choses ne vient pas de l'homme lui-même,
mais de la grâce de Dieu qui l'habite. Saint Paul l'a dit en des termes
d'une extrême clarté et d'une terrible rigueur : « Moi, je suis
charnel, vendu au service du péché [...] car je sais que ce n'est pas le
bien qui habite en moi. » (Rom. VII,
14-18). Lui n'avait pas peur de passer pour éthiquement
incorrect. Jamais il n'aurait pu envisager que l'homme se prétende
nativement bon ! Soyons honnêtes nous aussi : nous savons bien que
ces formules sont simplement réalistes. Je ne veux pas dire par là que
nous soyons tous nécessairement de "grands pécheurs". Les
"grands péchés" réclament une énergie que l'homme pécheur,
le plus souvent, n'a pas ou n'a plus... Dostoïevski, dans Les
Possédés, a bien montré combien il était difficile de représenter
un "grand pécheur".
Le
personnage de Stavroguine, conçu pour incarner une sorte d'archange du
mal, termine en honteux violeur de petite fille, sans atteindre à la
moindre « grandeur ».
Mais,
même si nous ne sommes pas de grands pécheurs, laissés à nous-mêmes,
nous sommes incurablement médiocres, attirés par la facilité et vivant,
sans même nous en rendre compte, d'une manière cupide, avare, lâche,
irresponsable... et j'en passe ! |