Vraiment,
comme le dit encore saint Paul, tout chrétien peut répéter : « C'est
par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis. » C'est la grâce qui
est la source de toute nouveauté et de toute jeunesse, c'est la grâce
qui me construit, qui me fabrique tel que je suis. Sans la grâce, je suis
livré au désir qui me prive de toute authenticité intérieure, qui me
plaque à l'extérieur de moi-même comme une centrifugeuse, qui me vide
de toute substance. Il est très clair, pour quiconque veut bien regarder
en face les réalités spirituelles, que la grâce n'est pas seulement
cette pichenette divine (ce coup de main, ce coup d'épaule) qui nous
serait donnée occasionnellement pour nous tirer d'un mauvais pas ou nous
sortir du pétrin. C'est un état nouveau de l'homme. La grâce fait de
nous des hommes nouveaux comme dit saint Paul - qui jouissent des fruits
de l'esprit et ne se contentent pas de vivre selon la chair. Bien entendu,
la grâce ne détruit pas notre personnalité mais elle lui donne une
dimension supplémentaire. Le chrétien véritable reçoit comme un
naturel de surcroît ; je dirais un supplément en épaisseur, une
sécurité vitale, une hardiesse, une simplicité, qu'il n'imaginait pas.
En ce sens, il est vraiment, et dès cette terre, « né de nouveau » (Jo
III). La distinction que fait le catéchisme entre la grâce sanctifiante
et la grâce actuelle n'a pas d'autre enjeu que de préserver cette
nouveauté chrétienne : certes, par la grâce actuelle, nous recevons de
Dieu le coup de main ou le coup de pouce qui nous est nécessaire dans
l'épreuve. Mais c'est la grâce sanctifiante qui représente en nous cet
état nouveau dans lequel nous vivons de la charité divine et non de la
concupiscence humaine.
Après
ce long préambule, il nous importe de savoir ce que le concile Vatican II appelle la nouveauté. Paul VI confiera : « Nouveauté, mise à jour (aggiornamento), ces
mots nous ont été confiés par Jean XXIII comme un programme. » (OR, 3
mai 1974). La nouveauté n'est donc pas l'un des thèmes annexes du
Concile, elle représente en quelque sorte le premier moteur de la
réflexion des Pères réunis au Vatican.
Une
fois de plus, c'est la constitution pastorale sur l'Église dans le
monde de ce temps qui nous donne les indications les plus précises
sur cette nouveauté à laquelle les Pères conciliaires ont été
attentifs : « Ipsa historia tam rapido cursu acceleratur. » Le
mouvement même de l'histoire devient si rapide que chacun a peine à le
suivre. Et le texte continue (n.5 §3) : « Le genre humain passe d'une
notion plus statique de l'ordre des choses à une conception plus
dynamique et évolutive. » Et un peu plus loin, on nous explique que «
des conditions nouvelles affectent la vie religieuse elle-même » (n° 7,
§.3). Les Pères conciliaires ont découvert cette machine à
décérébrer qu'on appelle l'Histoire, non pas seulement l'histoire comme
fuite du temps (cela aurait été très traditionnel de considérer cette
fuite, cette fragilité du temps). Non ! Il s'agit là de l'histoire,
perçue comme l'avènement d'une nouvelle conception de l'homme. Cette
histoire, selon les Pères conciliaires, a son horizon qui est l'unité du
genre humain : « Le destin de la communauté humaine devient un, et il ne
se diversifie plus comme autant d'histoires séparées entre elles. »
(5,3). L'Histoire en s'unifiant reçoit une majuscule et délivre un sens,
qui est véritablement un sens unique, celui de la liberté en marche,
aboutissant au règne de l'Homme qui se donne à lui-même sa loi. |