La
nouveauté qu'évoque le concile Vatican II n'est pas chrétienne ;
elle n'a rien à voir avec cette charité divine qui, nous dit l'Ecriture,
renouvelle toutes choses. Elle est empruntée au monde et, comme telle,
elle est présentée comme admirable, car, pour le pape Paul VI
lui-même, nous l'avons rappelé la semaine dernière, le monde,
avec son humanisme sans Dieu, avec son humanisme nouveau, est
admirable ; il faut donc que l'Église s'y rallie.
Des
textes que nous venons de citer, nous pouvons déjà tirer quelques
conclusions sur la « problématique nouvelle », sur les «
nouvelles analyses et les nouvelles synthèses » ( 5,3) que proposent les
Pères. On peut articuler cette nouveauté en deux champs : le champ
politique et le champ spirituel. Vatican II
s'est préoccupé de l'un et de l'autre.
Examinons
d'abord la nouveauté politique à laquelle le Concile entend faire face :
les démocraties ont triomphé en 1945, Pie XII
en avait pris acte avec
prudence, dans différents radio-messages de Noël en particulier. Selon
les Pères conciliaires, le monde qui est né de ce cataclysme est un
monde plus uni et plus fraternel. Je cite encore Gaudium et spes : « La
conviction grandit que le genre humain peut et doit non seulement
renforcer sans cesse sa maîtrise sur la création, mais qu'il peut en
outre instituer un ordre politique, social et économique qui soit
toujours plus au service de l'homme » (n°9, §1). Et de caractériser
l'ordre qui doit naître : « Un grand nombre, prenant conscience des
injustices et de la distribution des biens, s'estiment lésés. Les
nations en voie de développement veulent participer aux bienfaits de la
civilisation moderne tant sur le plan économique que politique, et jouer
librement leur rôle sur la scène du monde. Les peuples de la faim
interpellent les peuples de l'opulence. Les femmes, là où elles ne l'ont
pas encore obtenue, réclament la parité de droit et de fait avec les
hommes. Les travailleurs, ouvriers et paysans, veulent non seulement
gagner leur vie, mais développer leur personnalité par leur travail,
mieux, ils veulent participer à l'organisation de la vie économique,
sociale, politique et culturelle... » (§2). Je suis désolé d'avoir à
lire un texte si profane dans une enceinte sacrée, mais nous tenons là
un tableau assez exhaustif de la nouveauté politique telle que la
conçoivent les Pères de Vatican II. C'est la mondialisation heureuse,
version "ivresse démocratique" comme dirait Alain Minc. Cette
euphorie (tout simplement stupéfiante ou hallucinée) est vraiment
caractéristique de l'atmosphère conciliaire. Comment se comportent les
Pères par rapport à cette nouveauté socialiste et autogestionnaire
qu'ils ont su dépeindre en peu de mots ? Ils volent au secours de la
victoire : « En proclamant la très noble vocation de l'homme et en
affirmant qu'un germe divin est déposé en lui, le saint synode offre au
genre humain la collaboration sincère de l'Église pour l'instauration
d'une fraternité universelle. » (§3 n.2). Il y a des moments où la
réalité dépasse la fiction. On voit ce que les Pères ont fait de la
nouveauté chrétienne en la transposant dans l'ordre politique. Saint
Jean, au premier chapitre de l'Apocalypse, explique que « le
Christ nous fit Royaume et prêtres pour son Dieu et Père » (Apoc. I,
6). Que reste-t-il du Royaume
de Dieu à l'heure où l'Église nage dans la mondialisation
heureuse ? Que reste-t-il de ce sacerdoce que le Christ a donné à
chacun d'entre nous pour offrir son sacrifice intérieur, en esprit de
douceur et d'humilité ? Oui, que reste-t-il en définitive de la
nouveauté chrétienne, de cette divine charité, qui, à entendre nos
guides, doit se dissoudre dans le nouveau cours de l'histoire et dans la
Fraternité universelle qui s'instaure ? quarante ans après ce
discours sinistre, je crois que nous pouvons répondre : concrètement, il
n'en reste presque rien ! |