Est-ce
simplement là entretenir une mauvaise querelle sur une manière de
parler ? Je ne le crois pas. On est bien obligé de constater que
l'ensemble du message de Vatican II tient à ce renversement de
perspective : autrefois un chrétien devait considérer que l'Église
était sa fin ; il reconnaissait qu'en tant que chrétien, il en
était un membre. A l'opposé, aujourd'hui l'Église veut apparaître comme
un moyen, par lequel, ainsi que le précise Gaudium et spes, nous
devenons plus hommes. Il n'est plus question, depuis Vatican II, de mettre
les hommes au service de l'Église ; c'est l'Église qui est au service
de l'homme. Elle doit s'adapter à l'évolution de ses aspirations,
adapter sa liturgie, adapter la formation de ses prêtres, adapter son
message même, comme l'a expliqué Jean XXIII au début du Concile, dans
son discours d'ouverture. L'adapter, mais à quoi ? A cette nouvelle
finalité qu'est le service de l'homme.
Cette
inversion produit une sorte d'aplatissement de l'idée que l'Église se
fait de son rôle, de sa fonction et, finalement, de son identité.
Désormais,
l'Église a pris conscience qu'elle avait reçu une mission politique : «
L'Église en poursuivant la fin salvifique qui lui est propre, ne
communique pas seulement à l'homme la vie divine. Elle répand aussi, et
d'une certaine manière sur le monde entier, la lumière que cette vie
divine irradie, surtout en guérissant et en élevant la dignité de la
personne humaine, en affermissant la cohésion de la société et en
procurant à l'activité quotidienne des hommes un sens et une
signification plus profonde. Ainsi, l'Église croit pouvoir contribuer à
rendre toujours plus humaine la famille des hommes et leur histoire. »
(GS n°40, §3).
Ce
discours, direz-vous, évoque tout bonnement l'apologétique du XIXème
siècle et les innombrables services que l'Église se targuait de rendre à
la société lorsqu'elle s'exprimait par la bouche d'un Lacordaire, par
exemple, au cours des célèbres conférences de Carême de Notre-Dame de
Paris. Il n'y a vraiment pas là de quoi fouetter un chat !
concluront sans doute certains de mes contradicteurs...
Le
contexte du discours conciliaire donne pourtant une portée très
différente à ces propos. Autant un Lacordaire pouvait évoquer les
services que l'Église, inconsciemment, par la poursuite de sa fin
religieuse, rend à la société, autant ici, ce dont il est question,
c'est d'une mission temporelle de l'Église, qui travaille à rendre
l'homme plus homme, plus humaine la famille humaine, plus humaine encore
son histoire. La perspective est totalement différente, car ici l'Église
apparaît comme ordonnée à ces objectifs humains qui font partie
intégrante de la « nouvelle conscience » que l'Epouse du Christ est
censée prendre d'elle-même, obéissant à l'injonction de Paul VI
dans le discours par lequel il
ouvrait la IIème session du Concile (1964). |