Et
cette ordination de l'Église à l'humanisation de l'homme est tellement
profonde qu'elle implique une prise de conscience simultanée de l'urgence
d'une collaboration de toutes les forces spirituelles au service de
l'homme : « L'Église catholique fait grand cas de la contribution que les
autres Églises chrétiennes ou communautés ecclésiales ont apportée et
continuent d'apporter à la réalisation de ce même but... » (loc. cit.
§4). Il est question dans ce texte des autres "Églises" et
communautés chrétiennes, mais très vite, après le Concile, l'esprit de
cette collaboration va s'étendre à toutes les religions et les deux
sommets interreligieux d'Assise, organisés par le pape Jean Paul II en
1986 et en 2002, disent assez l'esprit du Concile à cet égard et la
nécessaire union de toutes les forces spirituelles pour un objectif
temporel commun. L'Église catholique prend désormais officiellement
l'initiative d'alimenter une prière commune pour la paix du monde... A
l'époque du Concile, on n'aurait sans doute pas imaginé cela, mais ce
sont bien les textes de Gaudium et spes qui ont fondé cette
attitude : un texte parle parfois au-delà de l'intention formellement
exprimée par ses rédacteurs... Dans la logique qui s'instaure à partir
de sa lettre.
On
peut distinguer deux paliers dans la mise en œuvre de cette logique et
dans l'élaboration de cette doctrine. L'Église affirme d'abord son nouvel
humanisme : « quiconque suit le Christ, homme parfait, devient lui-même
plus homme » (n°41, §1). Mais - et c'est ce que j'appellerai le
deuxième palier - il faut ajouter aussitôt que cette sequela Christi,
cette suite du Christ n'est pas forcément consciente, comme le note
le §22 de Gaudium et spes, l'un des textes du concile que le pape
Jean Paul il cite le plus souvent. Il suffit à l'homme de bien faire
l'homme, il suffit à l'homme de devenir plus homme pour qu'apparaisse ce
« but commun » au monde et à l'Église qu'est « la révélation à
l'homme du sens de son existence » (n°41, §1). L'homme qui avance en
humanité se trouve ainsi inclus, « d'une manière que Dieu
connaît », dans le mystère du Christ... Il n'est pas nécessaire
qu'il ait conscience de sa nouvelle qualité de chrétien.
Son
humanisation ne s'éclaire vraiment que dans le mystère de Jésus-Christ,
le Verbe de Dieu fait chair, qui seul manifeste pleinement l'homme à
lui-même (cf. n°22, § 1), en lui révélant « le fond secret de son cœur
» (n°21, §7). Le mystère du Christ et le « mystère de l'homme » ne
font qu'un...
Il
n'est pas aisé à des laïcs de pénétrer dans les arcanes de cette
nouvelle théologie et d'en apercevoir les enjeux concrets. Que signifie
tout cela ? Nous nous avançons certainement vers le fond le plus
secret du Concile, à défaut de connaître le fond secret du cœur
humain...
Jusqu'au
Concile, on parlait sans difficulté du Mystère du Christ, Dieu fait
homme, dont la théologie disait qu'il n'est pas accessible aux anges
eux-mêmes. Comment comprendre la doctrine du concile de Chalcédoine,
selon laquelle dans un même sujet, dans une même personne, subsistent
deux natures, la nature divine infinie et la nature humaine créée ? |