Mais
désormais, on parle d'un mystère de l'homme, c'est-à-dire d'une
dimension cachée du cœur de l'homme, de cette « étincelle
divine », de ce « germe divin qui a été déposé en lui » (GS,
n°3 §2). On caractérise la conscience de la même manière, non pas
comme un jugement qui permet de distinguer le bien et le mal, mais plutôt
comme « le centre le plus secret de l'homme, le sanctuaire où il est
seul avec Dieu » (n°16). La conscience apparaît dans le texte comme le
cœur du mystère de l'homme et finalement comme la part divine dans
l'homme.
Certainement,
il est un peu hasardeux de chercher à déchiffrer ce que l'on pourrait
appeler la pure pensée du Concile, son anthropologie cachée. On sent que
le mouvement du texte est encombré par des retours, des corrections et
des réticences... Mais la direction ébauchée tend à retrouver l'idée
d'une « divinité » de l'homme, idée que l'on rencontre chez Maître
Eckhart, lorsqu'il parle d'un fond incréé et incréable de l'âme. Le
jeune abbé Wojtyla la développait déjà en 1950 dans un article
important qu'il fit paraître justement sous ce titre : « Le mystère de
l'homme » (et qui est recueilli dans l'ouvrage intitulé En esprit et
en vérité, paru en français en 1980). Devenu évêque, ce jeune
abbé prit une part active à l'élaboration du "schéma XIII"
qui donna naissance finalement à la constitution pastorale Gaudium et
spes. Une fois pape, sous le nom de Jean Paul II, il accorda à ces
paragraphes fondamentaux de Gaudium et spes une importance
capitale, alors même que bien d'autres experts en la matière ne
soufflent mot de la révolution intellectuelle qui s'opère ici.
Il
est clair pourtant, que dans leur dialogue avec l'immanentisme moderne,
c'est tout naturellement que les Pères vont rencontrer, sans
l'approfondir outre mesure, cette idée de la divinité de l'âme humaine.
Ils ne lui font pas mauvais accueil, parce que, tout en autorisant un
spiritualisme échevelé (en contraste avec la modération de la Tradition
chrétienne et en contradiction avec le matérialisme dominant), ce
concept de la divinité de l'homme se retrouve bien au cœur de la gnose
moderne...
On
constate simplement que la lettre du Concile tend à soustraire ces
considérations anthropologiques du domaine philosophique où elles sont
nées. Il s'agit de constituer une matrice proprement théologique, et
d'apparence ultra-chrétienne, pour formuler ces conceptions gnostiques
d'une manière qui soit rassurante et attirante pour tout chrétien. C'est
dans cette perspective que se trouve mobilisée dans le paragraphe 22 de Gaudium
et spes toute une théologie de l'incarnation, qui assure une fonction
totalement inédite à ce jour dans la réflexion théologique. On peut
lire, dans ce passage, que « par son incarnation le Fils de Dieu s'est en
quelque sorte uni à tout homme ».
Comment
ce tour de passe-passe, qui identifie le Christ avec l'humanité
elle-même, a-t-il été rendu possible ? Les Pères conciliaires
l'indiquent dans le texte, mais de manière un peu technique : c'est une
conception quasi-platonicienne de la nature qui permet ce grand numéro de
prestidigitation : « Dans le Christ, la nature humaine a été assumée,
non absorbée ; par le fait même, cette nature a été élevée en
nous à une dignité sans égale » (loc. cit,). |