Si
l'on veut prendre la mesure de la déclaration Dignitatis humanae, si
l'on accepte de la considérer dans toute son ampleur, il faut dire que la
liberté religieuse dont il est question pendant le Concile, c'est cette
liberté-là, cette liberté qui a ébranlé l'histoire humaine depuis
trois siècles.
On
peut l'appeler liberté prométhéenne si l'on veut, mais à condition
d'apercevoir l'aspect nouveau de ce Prométhée contemporain. Placé dans
une situation absolument inédite, ce Prométhée-là considérerait Zeus,
non pas forcément comme un ennemi, mais plutôt comme une option, un
choix possible dans son existence. Drôle de Prométhée en vérité que
l'homme d'aujourd'hui, qui en vient à penser et à dire que Zeus, après
tout, c'est son choix personnel, c'est son droit ! Nous n'en sommes
plus, vous le voyez bien, à une simple et franche révolte contre Dieu.
La révolte devient elle-même une option, une possibilité qui
permettrait à l'homme de s'affirmer d'une certaine façon, mais qui n'est
pas exclusive d'autres attitudes (à commencer par l'indifférence
complète). Du moment que ces diverses manières de voir le divin
contribuent à l'épanouissement de l'homme, à son confort ou, disons-le,
à sa gloire, elles sont toutes recevables : voilà la notion
contemporaine de liberté religieuse, à laquelle, bon an mal an, le
Concile s'est rallié. C'est bien la liberté de conscience telle qu'elle
a été anathématisée par les papes Grégoire XVI et Pie IX, mais son
domaine d'application s'est étendu largement au-delà du champ politique.
Nous la condamnons avec la même force que ces grands papes. Mais nous
comprenons peut-être mieux que les catholiques d'hier, pourquoi Grégoire
XVI parlait d'un "délire" à propos de ces libertés nouvelles
: elles n'ont pas d'autre but que de mettre la volonté de l'homme à la
source de tout ordre, au plan religieux, au plan politique, au plan
moral...
J'en
entends certains me dire : mais enfin, comment pouvez-vous condamner la
liberté ? " Vous êtes français, vous êtes issu du peuple qui
a conquis la liberté et qui en a fait le don au monde, et pourtant vous
condamnez la liberté ! Cela n'est pas possible... " D'autres
variantes de cette critique peuvent se formuler de mille et une manières
: " Vous êtes chrétien, vous prétendez juger le Concile à l'aune
de l'Évangile et vous reprenez le discours intégriste de quelques papes
sortis fossilisés du fond du XIXème siècle. Mon Père, il faut
évoluer ! "
Effectivement,
je crois qu'il est nécessaire, pour ne pas que la querelle s'envenime et
pour qu'elle puisse trouver une solution véritable de considérer ce que
nous enseigne l'Évangile sur cette liberté dont nous autres, Français,
nous sommes si fiers... Lorsqu'on se plonge dans le Nouveau Testament, on
rencontre très vite cette idée de la liberté du vrai fidèle.
Pour
saint Paul par exemple, revendiquer la liberté, face aux chrétiens
judaïsants, cela n'a rien d'un jeu de mots. L'Apôtre se définit
lui-même comme Hébreu fils d'Hébreu... " Pharisien pour ce qui est
de la Loi " comme il l'écrit lui-même, il est habitué depuis son
enfance à l'interprétation la plus pointilleuse de tous les préceptes
de la Torah et il pratique une observance des plus rigides. Lorsqu'il se
convertit sur le chemin de Damas, et devient chrétien après avoir été
un intégriste juif, il se sent délivré de ce poids de la Loi qui,
écrira-t-il, " a tout enfermé sous le péché ". "
Vous n'êtes plus sous la Loi mais sous la grâce " répétera-t-il
aux Romains (VI, 14). |