Comment
expliquer cette apparente aversion de saint Paul pour la Loi juive, alors
même qu'il a passé sa vie à recommander aux premières communautés
chrétiennes de multiplier les bonnes œuvres ? Il ne faut pas
confondre ce que l'Apôtre recommande au sujet des œuvres bonnes d'une
part, et ce qu'il pense, d'autre part, des œuvres commandées par la Loi
juive. Luther a fait cette confusion, qui l'a mené à des
interprétations confinant à l'absurde, en offrant l'image d'un
théologien qui n'hésiterait pas à se situer "par-delà le bien et
le mal". On connaît son apostrophe : " Pèche hardiment et
crois plus fermement ! "
Si
on lit les épîtres sans préjugés, on ne trouve pas trace du célèbre
leitmotiv luthérien sur le salut par la foi seule. Au contraire, saint
Paul ne perd pas une occasion de dire à ses fidèles qu'" il ne faut
pas se lasser de faire le bien ". " Nul fornicateur, nul
impudique, nul avare, c'est-à-dire nul idolâtre, n'ont de part au
royaume du Christ et de Dieu " (Eph. V, 5). Le grand
prédicateur de l'Évangile note par ailleurs que ceux qui ne sont pas
chrétiens peuvent néanmoins suivre la voix de leur conscience (Rom II,
14-15). Pas de trace de jansénisme : saint Paul reconnaît que les
païens peuvent avoir de vraies valeurs morales.
Et
d'un autre côté, c'est en parlant de la Loi juive qu'il affirme : "
Elle a tout enfermé dans le Péché. "
Une
telle sévérité s'explique si l'on se souvient que certains juifs
confondaient le culte rendu à Dieu avec une pratique compulsive et
orgueilleuse des moindres observances de la Torah ; ceux-là avaient
tendance à transformer la Loi en une idole, au mépris de l'ordre voulu
par Dieu. Certains pharisiens mais aussi des esséniens tombaient dans ce
travers du légalisme. On en trouve trace également dans une apostrophe
fameuse - et beaucoup plus ancienne - du prophète Jérémie aux habitants
de Jérusalem (W, 4), qui imaginent qu'ils ont Dieu avec eux, puisque,
conformément à la Loi, le culte divin se déroule dans le Temple.
Le
Père Spicq cite quelques textes des Rabbis, dont le formalisme est
éloquent. Selon Rabbi Eléazar, Dieu est le premier observateur de la Loi
qu'il a promulguée. Selon Rabbi Jehuda, Dieu met tous les jours des
phylactères et s'enveloppe d'un vêtement garni de franges. En outre,
trois heures chaque jour, il étudie la Torah. Selon Rabbi Isaac, après
l'épisode du Veau d'Or, alors que Dieu avait fait vœu d'anéantir les
Israélites, il s'est fait relever de son vœu par les Docteurs de la Loi.
Dans cette perspective, la question du sexe des anges est en quelque sorte
tranchée d'avance, car, selon tel ou tel Maître dans la science de la
Torah, les anges sont circoncis et ils observent le Sabbat. Dieu lui-même
ne s'est-il pas reposé le septième jour ? Quant aux hommes, s'ils
veulent être des justes, ils doivent observer les 613 préceptes de la
Torah, (248 positifs et 365 négatifs) à quoi la Tradition ajoute une
multitude de prohibitions ou de nouveaux préceptes... Saint Paul a écrit
en termes définitifs ce qu'il fallait penser de cette efflorescence de la
réglementation pharisaïque : " Le précepte était fait pour la
Vie, il me conduisit à la mort. Car le péché, saisissant l'occasion du
précepte, me séduisit - comme le serpent séduisit Eve - et par ce moyen
me tua " (Rom. VII, 7-12). |