Centre Saint Paul

"Vatican II et l'Évangile" - abbé G. de Tanoüarn

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Préface, par l'abbé Régis de Cacqueray

Introduction - Oublier Vatican II ?

Première partie - Le Concile comme paysage
Chapitre 1 - Le chrétien dans le monde
Chapitre 2 - Nouveauté chrétienne - nouveauté conciliaire
Chapitre 3 - La paix du Christ et la paix du Concile
Chapitre 4 - Un nouvel homme, une nouvelle religion

Chapitre 5 - La liberté du Christ et la liberté religieuse

Chapitre 6 - Le culte chrétien et le culte conciliaire

Premier bilan

Deuxième partie - Une clef pour Vatican II

Chapitre 7 - Prélude philosophique
Chapitre 8 - Liberté religieuse, le conflit des interprétations
Chapitre 9 - Vatican II et la transmission de la foi
Chapitre 10 - Liberté et vérité dans l'Évangile
Chapitre 11 - Quel est ce droit ?
Chapitre 12 - Quel est ce Règne ?
Conclusion
Annexes

Liste des abréviations utilisées

 
(C) Abbé de Tanoüarn
12 rue Saint-Joseph
75002 Paris
01.40.26.41.78
Chapitre 7 - Prélude philosophique [suite]

Il devient plus facile, dans le souffle de ces textes, de reconstituer la scène primitive, pour mieux évaluer le traumatisme d'où est née la modernité : c'est la liberté de l'homme qui a rencontré Dieu et qui, de rage, l'a supprimé... Toute l'histoire de la pensée allemande est l'histoire de cet affrontement entre la transcendance de Dieu et la puissance de l'homme.

“ Rien d'extérieur, rien de supérieur ! ” répétait déjà le mage Paracelse, à la fin de la Renaissance. L'effort de pensée auquel on assiste à partir de Rousseau et de Kant (dès la fin du XVIIIème siècle) consiste explicitement à installer la volonté toute puissante de l'homme au cœur de l'être même.

Pour cela, il importe d'abord de cultiver l'agnosticisme, c'est la phase kantienne. L'esprit humain ne peut rien connaître au-dessus du monde sensible ; il ne reste à l'homme que le libre élan de la croyance pour pallier les absences et les étourderies de l'Etre suprême. Cette liberté est absolue, elle renvoie à une loi que l'homme se donne à lui-même, indépendamment de toute réalité extérieure. C'est le pur sens du devoir qui le guide et qui le fait renaître dans une autre peau, comme un homme libre et non comme un esclave. Quant à son Dieu, ce n'est plus celui de la Bible, qui se révèle par des paroles de feu et entend être servi sans faiblesse. Non, le Dieu nouveau est en avant de l'homme et comme à son service, puisque tout doit être subordonné au nouveau règne des fins qui s'instaure et à la dignité inaliénable de la personne. Le Dieu, né des spéculations d'Emmanuel Kant, est un Dieu qui est personnel, au sens où il est personnel à chacun...

Mais Kant ne fait que traduire en une rhétorique rigoureuse ce qui est comme l'esprit de son temps. N'est-ce pas Madame de Staël, la fille de Necker qui déclarait à la même époque : “ II n'est aucune question ni de morale ni de politique dans laquelle il faille admettre ce que l'on appelle l'autorité. La conscience des hommes est en eux une révélation perpétuelle et leur raison un fait inaltérable. ” (cité par Lucien Jaume, L'individu effacé p. 69). L'idée de la conscience comme révélation nous mènerait d'ailleurs, si on la suivait, bien au-delà de Kant, du côté de Fichte et des théoriciens romantiques de l'intuition intellectuelle. Le Sujet absolu, libéré de l'expérience sensible, libéré du réel, fait surgir un monde moral et religieux de son propre élan et, en quelque sorte, de son propre fond. Ce qu'il nomme sa croyance, c'est cette élaboration idéale dans laquelle il s'identifie lui-même comme le nouveau fondement de la vérité et l'origine de la lumière. “ La croyance n'est pas une science, mais une décision de la volonté de donner à la science sa pleine valeur ” dit Fichte. (La destination de l'homme, Aubier p. 147). La volonté est bien ici au cœur d'une sorte de nouveau cogito : Je veux donc je suis, et je suis voulant... “ Je suis absolument mon propre ouvrage ” (ibid). La Révélation qui s'effectue dans ma conscience consiste dans la manifestation de cet ordre nouveau du vouloir universel, tel qu'il m'apparaît infailliblement, tel qu'il apparaît à ma conscience : je me perçois comme nécessairement destiné à cette liberté du vouloir et tout ce qui pourrait paraître contrarier cette liberté devrait être considéré comme pure apparence.

Schelling, sur la même ligne, tentera de donner un corps à cette subjectivité tendue vers le Bien, c'est-à-dire vers l’autoréalisation d'elle-même. Selon lui, “ la liberté est le concept général positif de l'en soi ” (Recherches philosophiques sur l'essence de la liberté éd. Vrin p. 159). “ La volonté est l'être originel et tous les prédicats de celui-ci ne conviennent qu'à elle : absence de fondement, éternité, indépendance à l'égard du temps, acquiescement à soi-même. Toute la philosophie ne tend qu'à ce seul but : trouver cette expression suprême ” (op. cit. 161). Le commentaire de Heidegger sur ce texte de Schelling est éloquent : “ C'est dans le vouloir que ce philosophe trouve les prédicats que de tout temps, la pensée métaphysique attribue à l'Etre, dans leur forme ultime, dans leur forme la plus élevée et par conséquent parfaite. Tout étant a le pouvoir de son être dans la volonté et par la volonté ” (Qu 'appelle-t-on penser ? éd. PUF p. 68). L'être est liberté. Le Bien n'est rien d'autre que cette liberté qu'a chaque être de se constituer lui-même, de se donner à lui-même.

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