Centre Saint Paul

"Vatican II et l'Évangile" - abbé G. de Tanoüarn

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Préface, par l'abbé Régis de Cacqueray

Introduction - Oublier Vatican II ?

Première partie - Le Concile comme paysage
Chapitre 1 - Le chrétien dans le monde
Chapitre 2 - Nouveauté chrétienne - nouveauté conciliaire
Chapitre 3 - La paix du Christ et la paix du Concile
Chapitre 4 - Un nouvel homme, une nouvelle religion

Chapitre 5 - La liberté du Christ et la liberté religieuse

Chapitre 6 - Le culte chrétien et le culte conciliaire

Premier bilan

Deuxième partie - Une clef pour Vatican II

Chapitre 7 - Prélude philosophique
Chapitre 8 - Liberté religieuse, le conflit des interprétations
Chapitre 9 - Vatican II et la transmission de la foi
Chapitre 10 - Liberté et vérité dans l'Évangile
Chapitre 11 - Quel est ce droit ?
Chapitre 12 - Quel est ce Règne ?
Conclusion
Annexes

Liste des abréviations utilisées

 
(C) Abbé de Tanoüarn
12 rue Saint-Joseph
75002 Paris
01.40.26.41.78
Chapitre 7 - Prélude philosophique [suite]

Au fond, la philosophie des droits de l'homme ne dit pas autre chose. Lorsque la déclaration du même nom articule, en son article 6, que la loi est l'expression de la volonté générale, elle renvoie aux calendes grecques l'examen d'un ordre objectif du monde et envisage l'Humanité citoyenne comme capable de se donner à elle-même sa loi ; dans cette perspective, chaque individu n'a d'autre bien que celui qu'il se donne à lui-même. L'autodétermination de chacun renvoie à l'auto-constitution de l'être moral, qui est l'être même en tant qu'il est esprit et donc l'intime de chaque individu et le nouveau bien commun de l'humanité.

Ainsi, dira Nietzsche, un peu plus tard mais dans la même ligne de pensée, c'est en se créant lui-même que l'homme devient ce qu'il est. Cette perspective n'est pas aussi éloignée qu'elle en a l'air de celle de Marx, lui aussi prophète d'une humanité nouvelle. Mais qu'est-ce qui les oppose ? Tandis que Nietzsche croit au surhomme, Marx se confie dans l'Humanité universelle, et en particulier dans la force révolutionnaire des prolétaires. Pour Nietzsche, la morale individuelle apparaît comme l'art de l'impossible ; quant à Marx, il envisage la politique comme une technique visant à réaliser l'utopie. Ceux qui ne seraient pas marchands de rêves sont priés de s'abstenir...

Et la religion direz-vous ? Marx pas plus que Nietzsche n'envisage qu'elle puisse avoir un avenir dans le monde que laissent entrevoir leurs prophéties pourtant contrastées. Mais, selon certains spécialistes de l'intériorité, de même qu'il y a une morale de l'Age nouveau, de même qu'il y a des politiques qui apprivoisent l'utopie, il doit y avoir de nouvelles religions. Ou plutôt de nouvelles religiosités, de nouvelles manières de vivre les vieilles religions.

A l'image de l'état d'esprit qui prédomine désormais, la religiosité devient l'expression d'un vouloir qui se projette aux dimensions de la destinée que l'homme se donne à lui-même. Dans cette perspective, l'homme ne vit plus "au plaisir de Dieu", c'est Dieu qui doit se formuler au gré de l'homme. Dieu n'est rien d'autre que cette révélation prodigieuse de la liberté de l'homme qui se réalise lui-même en s'identifiant progressivement à son projet.

Je crois que toutes les difficultés que peut ressentir l'intellectuel aujourd'hui, lorsqu'il se trouve mis en face de Dieu, se trouvent résumées dans ces formules. Lorsque les sages d'autrefois, lorsque les philosophes tentaient de contempler le monde, ils voyaient une Intelligence à l'œuvre : “ C'est l'Esprit qui a tout ordonné ” disait Anaxagore en une intuition sublime qui fonde toute la philosophie grecque. L'esprit divin, cette Intelligence unique, suprême et souveraine, avait posé des lois régissant le monde physique et d'autres lois régissant le monde moral. La liberté de l'homme ne pouvait se penser elle-même comme bénéfique qu'à l'intérieur de cet ordre décrit par la sagesse divine. Elle apparaissait comme l'art de déterminer les moyens d'agir “ sans modifier l'ordre de la fin ”, comme disaient les scolastiques. Qu'entendaient-ils par là ? Ils désignaient justement l'ordre de la sagesse divine, sur lequel l'homme n'a pas prise, car ce n'est pas lui qui peut décider du bien et du mal. Nous sommes bien incapables d'inventer un monde. Il faut nous contenter de l'habiter !

Insensible aux avertissements de la nature, qui lui rappellent les limites de l'animal raisonnable qu'il essaie d'être, pour le meilleur et parfois pour le pire, l'homme d'aujourd'hui se sent en droit de décider de tout, et ce n'est pas la faute des philosophes. “ C'est au crépuscule que l'oiseau de Minerve prend son envol ” aimait à répéter Hegel. Les philosophes n'ont fait qu'entériner cette nouvelle mentalité qui était le legs fait par l'élite du XVIIIème siècle au siècle suivant.

Au lieu de concevoir un monde ordonné, dans lequel l'homme évolue en se conformant à une loi qui n'est pas arbitraire mais qui donne à l'existence vagabonde de l'animal humain sa consistance spirituelle, voilà qu'on envisage de mettre le monde et ses lois entre parenthèses, d'oublier l'ordre naturel, en considérant uniquement le sujet humain dans sa capacité à se donner à lui-même un univers selon son goût.

>>Suite>>