Réflexions
sur le dialogue
On
retrouve ici la doctrine conciliaire dite des semences du Verbe (cf. Ad
Gentes n°11 et 15), empruntée à un théologien très ancien, saint
Justin. Dans le même registre spirituel, on pense également à ce
qu'écrivit le premier théologien latin Tertullien (cf. notre chapitre
suivant), sur le témoignage de l'âme naturellement chrétienne. Mais
Justin (et Tertullien) sont instrumentalisés d'une manière qui dépasse
largement leur propos d'origine, tout comme le sont aussi Bonaventure et
plusieurs théologiens médiévaux, que je citais tout à l'heure à
propos de la conscience. Une chose est d'invoquer le témoignage de l'âme
humaine pour vérifier l'authenticité de la parole de Dieu qui lui est
adressée, et autre chose de tirer la parole de Dieu du cœur même de
l'homme.
Or,
à lire attentivement le n°11 de Ad Gentes, il semble bien que le
célèbre "dialogue" auquel invitait le pape Paul VI dans
l'encyclique Ecclesiam suam (1964) et qui devint l'un des mots
d'ordre du Concile, doive être compris selon le paradigme théologique de
la foi comme prise de conscience de l'homme. La fameuse théorie
platonicienne de la réminiscence n'est pas si loin qu'il paraît de ce
dialogue-là. Le fondateur de l'Académie entendait prouver que, sans
avoir rien appris, le petit esclave de Ménon était capable de calculer
des surfaces, comme si la connaissance qu'il prenait des lois
mathématiques était un simple souvenir qui gisait depuis toujours dans
sa mémoire. Eh bien ! Les Pères conciliaires aimeraient sans doute,
à travers ce nouveau dialogue, jouer les Socrate modernes, en montrant à
leurs contemporains que leur foi endormie est en eux, et qu'il suffirait
qu'ils s'en ressouviennent, pour devenir des paroissiens tout à fait
passables ! Le dialogue qui s'instaurerait “ entre l'Homme et l'Église ” permettrait simplement d'actualiser la médiation de la
conscience, noyau spirituel de l'être humain où gisent non seulement
peut-être des théorèmes mathématiques, comme le pensait Platon, mais
aussi et surtout, pour lors, des semences du Verbe, des germes de la foi.
Tel
est sans doute l'esprit, sinon la lettre, du n°11 de Ad gentes. Voici
ce texte, qui doit être lu attentivement :
“
Le Christ lui-même a scruté (scrutatus est) le cœur des hommes
et les a amenés par un dialogue vraiment humain (colloquio vere
humano) à la lumière divine ; de même ses disciples,
profondément pénétrés de l'esprit du Christ, doivent connaître les
hommes au milieu desquels ils vivent, engager conversation avec eux, afin
qu'eux aussi apprennent, dans un dialogue sincère et patient, quelles
richesses Dieu, dans sa munificence, a dispensées aux nations ; ils
doivent en même temps s'efforcer d'éclairer ces richesses de la lumière
évangélique, de les libérer, de les ramener sous l'autorité du Dieu
sauveur. "
Il
faudrait un long commentaire. Prenons le fil des mots.
-
D'abord, le Christ n'a pas scruté le cœur des hommes. Au contraire, nous
dit l'Évangile de saint Jean au chapitre 2, “ il savait ce qu'il y a
dans l'homme et il n'avait pas besoin qu'on lui rende témoignage de
l'homme ”. Quant au dialogue vraiment humain que le Fils de Dieu
aurait entrepris avec tel ou tel de ses disciples, on pense immédiatement
au dialogue du Christ avec la Samaritaine (Jean IV). Il n'est pas vraiment
humain, puisque cette femme court prévenir les villageois en leur disant
: “ Voilà un homme qui m'a dit tout ce que j'ai fait. ” C'est parce
que le Fils de Dieu lit dans sa vie et lui révèle tout son passé que la
Samaritaine, ébranlée, se convertit. On pourrait multiplier les exemples
qui montrent que les dialogues du Christ n'étaient pas des dialogues “
vraiment humains ”. On constate d'ailleurs souvent dans la parole
de Jésus une sorte de provocation (“ Détruisez ce temple... ”),
une dureté (voir l'entretien de Jésus avec la Chananéenne, à propos
des mets, qui - dit-il - ne doivent pas être jetés aux chiens). En
toutes occasions, le Maître parle selon une science supérieure (“ II
faut naître de nouveau ” dit Jésus à Nicodème par manière
d'énigme). Saint Matthieu note le sentiment de son auditoire : “ Il
parlait comme un homme ayant autorité et non comme les scribes ” (Matth.
VII, 29). |