Saint
Pierre intervient dans ce débat décisif sur la liberté chrétienne,
avec toute son autorité de prince des apôtres. Il nous met en garde
contre une fausse compréhension de cette liberté nouvelle, qui ne doit
pas dégénérer en licence. La liberté évangélique nous libère de
toutes les fausses libertés, qui ne sont que “ le voile de notre malice
” (I Petr. 2,16), en faisant de nous “ des serviteurs de Dieu ” (ibid).
Sur cette nouvelle “ loi de liberté ” (Jacques I,25 et II, 12), qui
s'épanouit dans le service de Dieu, l'enseignement des apôtres est
abondant et - alors même que Paul, Jacques et Pierre ne mettent pas les
accents au même endroit - sur ce chapitre, c'est bien la même doctrine
qu'ils professent.
Cela
étant dit, il faut encore préciser, en revenant à l'Évangile lui-même,
que cette liberté chrétienne n'est ni un dû ni une possession
inaliénable et quasi raciale, comme l'imaginent les juifs dans la
péricope de saint Jean que nous citions au début de ce chapitre. Leur
polémique avec le Christ, qui fait l'occasion de ce développement, est
particulièrement significative et, comme par antiphrase, elle nous
ramène tout droit au Concile : “ Nous sommes la semence d'Abraham et
n'avons jamais été esclaves de personne, et toi, tu prétends nous
libérer ? ” déclarent-ils à Jésus, lorsqu'il leur annonce que
c'est la vérité qui les rend libres.
Leur
attitude fait fortement penser à celle de nos républicains rousseauistes
d'aujourd'hui. “ Nous sommes nés libres, déclarent les modernes
disciples du Vicaire savoyard (eux, les juifs, c'est parce qu'ils sont
nés fils d'Abraham ; nous, c'est parce que nous sommes libérés de
naissance en tant que futurs citoyens d'une démocratie et participant au
contrat social). Si donc nous sommes nés libres, nous ne voulons pas de
la liberté que ce Messie nous apporte, elle est superflue, elle est même
insultante, elle nous est apportée comme si nous étions des
esclaves ”. il est frappant de constater que dans l'esprit de ce
dialogue, nous retrouvons tout à fait l'argument qui aujourd'hui rend le
citoyen français indifférent à la religion de Jésus-Christ : “ Nous,
nous n'avons pas besoin d'être libérés par Toi ; nous sommes nés
libres. ”
C'est
la façon la plus courante aujourd'hui de se fermer à l'Évangile que de
se prétendre ainsi libres de naissance, et le Christ le souligne dans sa
réponse : “ En vérité en vérité je vous le dis, rétorque Notre
Seigneur face à leur prétention, quiconque commet le péché est un
esclave. ” Comme souvent dans l'Évangile (et en particulier dans l'Évangile de saint Jean), le Christ ne cherche pas à adapter son
discours à ses interlocuteurs ou à entrer dans leur perspective. Il leur
explique que cette prétention qu'ils ont d'être libres de naissance est
la racine de leur péché et de leur esclavage. Et il est évident que
jamais les juifs n'accepteront d'être ainsi considérés comme des
esclaves. De la même façon, les hommes auxquels nous nous adressons en
ce début du XXIème siècle ne peuvent pas supporter de devoir
reconnaître leur esclavage, avant d'endosser la liberté chrétienne.
D'une certaine façon du reste, c'est de cette onéreuse humiliation dont
le Concile les dispense, en leur expliquant qu'ils n'ont plus à se
convertir, qu'ils n'ont plus besoin de reconnaître leurs erreurs ou leurs
péchés comme des obstacles à leur salut et qu'ils doivent simplement
“ devenir plus hommes ”, prendre conscience de ce qu'ils sont ou
libérer la grâce qui est en eux... La prédication conciliaire semble
élaborée tout exprès à l'attention de ces citoyens modernes et qui se
savent nés libres. Reste à comprendre qu'elle n'introduit pas à la
religion authentique de Jésus-Christ.
Il
me semble qu'il y a, dans ce court dialogue évangélique, de quoi nous
guérir de l'esprit de liberté religieuse et de quoi nous convertir en
vérité à la Parole du Christ. Si nous nous prétendons libres face à
la vérité divine, libres avant elle, nous démontrons simplement que
nous sommes incapables d'apercevoir à quelle profondeur se situe cette
vérité de “ la parole qui a été implantée en nous ” (Jacques
I,21). En quelque sorte, nous nous déclarons incapables de la moindre
foi.
Si
nous avions la foi comme un grain de sénevé, nous comprendrions que nous
n'avons aucun droit à la liberté, tout simplement parce que nous ne la
possédons pas. Pour seul titre à la liberté, nous ne pouvons exciper
que cette foi que nous avons reçue de Dieu et qui nous affranchit du
péché.
Il
est impossible d'être chrétien autrement. La foi n'est pas une option. |