Centre Saint Paul

"Vatican II et l'Évangile" - abbé G. de Tanoüarn

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Préface, par l'abbé Régis de Cacqueray

Introduction - Oublier Vatican II ?

Première partie - Le Concile comme paysage
Chapitre 1 - Le chrétien dans le monde
Chapitre 2 - Nouveauté chrétienne - nouveauté conciliaire
Chapitre 3 - La paix du Christ et la paix du Concile
Chapitre 4 - Un nouvel homme, une nouvelle religion

Chapitre 5 - La liberté du Christ et la liberté religieuse

Chapitre 6 - Le culte chrétien et le culte conciliaire

Premier bilan

Deuxième partie - Une clef pour Vatican II

Chapitre 7 - Prélude philosophique
Chapitre 8 - Liberté religieuse, le conflit des interprétations
Chapitre 9 - Vatican II et la transmission de la foi
Chapitre 10 - Liberté et vérité dans l'Évangile
Chapitre 11 - Quel est ce droit ?
Chapitre 12 - Quel est ce Règne ?
Conclusion
Annexes

Liste des abréviations utilisées

 
(C) Abbé de Tanoüarn
12 rue Saint-Joseph
75002 Paris
01.40.26.41.78
Chapitre 10 - Liberté et vérité dans l'Évangile [suite]

Analogies philosophiques

Certains lecteurs penseront peut-être qu'une telle manière de subordonner la liberté à la vérité relève d'un obscurantisme inquisitorial, caractéristique du fanatisme monothéiste. Ils verront, ceux-là, dans nos efforts pour retrouver le sens de l'Évangile, une complaisance pour un message dépassé et contraire à la nature de l'homme. Et pourtant, Aristote, philosophe de la nature s'il en est, et absolument étranger à tout risque de "barbarie monothéiste", met en lueur une conception de la liberté qui, structurellement, ressemble à celle que l'on découvre dans les textes du Nouveau Testament. Ainsi, la doctrine de l'Évangile sur les rapports entre liberté et vérité possède une sorte d'analogue, un équivalent en philosophie ; il n'est pas inutile de se le rappeler.

Comment pouvons-nous prétendre être libres ? Première solution : nous considérons que nous sommes libres à partir du moment où nous nous épanouissons à notre guise, dans le jaillissement spontané de notre nature. Cette liberté, souvent rêvée, il s'avère en réalité qu'elle donne à vivre le contraire de ce qu'elle promet. Depuis Platon, nombreux sont les philosophes ou les écrivains qui s'en sont rendu compte et l'ont exprimé chacun à leur manière. “ La liberté absolue, c'est le despotisme absolu ”, déclare Dostoïevski dans Les Possédés.

Il existe, depuis Aristote, une autre théorie de la liberté : être libre, d'après le Stagirite, c'est avoir trouvé sa fin et s'appuyer sur cette découverte de vérité pour vivre, c'est-à-dire pour inventer les moyens de se rapprocher de ce qui semble bon.

Le propre de l'esclave par nature, affirme le fondateur du Lycée, au début de sa Politique, c'est justement qu'il est incapable de déterminer la fin qui lui est propre. Restant lui-même sans but précis, sans objectif personnel, sa force de travail est utilisée par d'autres, qui, eux, savent où ils vont. Et Aristote ajoute cette distinction qui fait scandale : soit l'esclave a été rendu tel par la prise, par la guerre et la conquête, il est alors injuste qu'il demeure esclave. Soit l'esclave se trouve ainsi parce que, par nature, il est incapable de s'élever à la considération de sa fin. Et dans ce cas, son sort n'a rien d'injuste. Richard Bodéüs, après avoir exposé cette théorie, conclut qu'il existe aujourd'hui beaucoup d'esclaves par nature, incapables de s'assigner à eux-mêmes des objectifs, inaptes à baliser librement leur existence et qui servent simplement de moyens à d'autres, plus motivés et donc supérieurs.

De telles réflexions valent d'abord dans le domaine des rapports sociaux. Elles permettent de qualifier le droit du maître et celui de son esclave - et (pourquoi pas ?) le droit du Capital anonyme et le droit du travailleur. Mais il existe un champ d'application analogique dans un ordre plus spirituel, selon la manière dont l'homme appréhende sa destination.

Celui qui se croit "né libre" a pour finalité ultime la réalisation maximale de sa propre liberté, il a un droit absolu sur tous les objets de sa croyance qui se trouvent uniment soumis à une sorte de question préalable : cette idée de Dieu ou du sacré va-t-elle pour moi dans le sens d'une liberté plus grande ? Insidieusement, Dieu se réduit à un objet pensé, à une idée, à une construction mentale, il ne se vit plus qu'au gré de l'homme ; l'homme accepte d'avoir une religion, du moment que cela se solde pour lui par plus de confort moral, plus de prospérité, plus de... liberté, c'est-à-dire plus de droit.

Terrible grandeur de l'homme qui croit apprivoiser Dieu ! Au moment où il s'imagine en souverain absolu de sa propre existence, au moment où il est certain que sa propre fin se trouve en lui-même, ce droit absolu, qu'il s'arroge sur le monde et sur son principe, le rend esclave de ses impressions, de ses envies, de ses foucades ou tocades... Parfois jusqu'à l'autodestruction ou à l'esclavage. On pourrait nommer ce renversement de la toute puissance dans l'impuissance le paradoxe de l'autonomie. Parce que l'individu croit à son propre règne, il se dispense de toute quête d'une finalité extérieure à lui, il ne cherche la transcendance que comme moyen de sa propre transascendance, et il se ruine : le point fixe, la finalité extérieure lui manque. C'est au moment où il s'imagine le plus libre qu'il se découvre vide. L'expérience terrible de la dépression provient souvent de cet excès de liberté qui se transforme en une cuisante impuissance...

Au contraire, celui qui reconnaît le droit qu'a sur sa conduite le lambeau de vérité qu'il a reçu en héritage ou qu'il a parfois (plus rarement) découvert par lui-même, celui-là peut fonder sa liberté sur un objectif entrevu. Il est libre parce qu'il a une fin, un but. Il est libre, comme le dit Notre Seigneur dans l'Évangile, parce que la vérité qu'il entrevoit l'a rendu libre.

>>Suite>>