La
crise de l'Église est une crise de la foi
Pour
nous chrétiens, ayant refermé cette parenthèse philosophique, il s'agit
de redécouvrir de quelle manière nous devons être des inconditionnels
du Christ : non pas en perdant notre liberté dans une conduite sectaire,
mais en redécouvrant que nous recevons la liberté comme une grâce, de
par notre adhésion à la Vérité, sublime don de Dieu.
La
question de la liberté religieuse a souvent été abordée d'un point de
vue purement politique. J'ai moi-même montré ailleurs - en réponse à
la volumineuse thèse du Père Basile Valuet - qu'entre la tolérance
chrétienne, telle qu'elle était envisagée par Cajétan et par Suarez,
et l'idée conciliaire du droit à la liberté religieuse, se creusait un
abîme de nouveauté.
Lorsque
Aristote parle de l'esclavage, il dépasse largement l'analyse sociale. De
la même façon, les développements du Concile vont bien au-delà de ce
que la plupart des Pères conciliaires avaient imaginé : ils croyaient
sans doute définir simplement une nouvelle attitude politique de l'Église
face à l'Etat laïc. En réalité, implicitement, ils développaient une
nouvelle conception de la foi chrétienne, désormais mise à la
discrétion du droit que s'est arrogé chaque individu de décider ce qui
lui semble être le meilleur pour lui. C'est sans doute, pour beaucoup,
une conséquence involontaire, mais il apparaît dans le texte de Dignitatis
humanae, que la Parole de Dieu perd toute autorité intrinsèque. Elle
ne peut plus s'appuyer désormais que sur la force de la vérité, telle
qu'elle apparaît à la conscience de chaque homme. On peut le lire dès
le premier paragraphe : “ Le Concile déclare que le devoir de chercher
la vérité concerne la conscience de l'homme et l'oblige, et que la
vérité ne s'impose que par la force de la vérité elle-même qui
pénètre l'esprit avec autant de douceur que de puissance. ” Verum
index sui, disait déjà Spinoza, plus imprégné du protestantisme
libéral qui florissait à Amsterdam que de l'austère prédication de la
Synagogue sur la Loi de Dieu. Si c'est dans la conscience de chacun que la
vérité doit se manifester, on comprend que cette vérité-là n'est rien
d'autre que la liberté de l'homme, laissé à lui-même, et déchiffrant
en lui-même les signes de sa destinée. Le Livre est laissé de côté,
la Bible n'est plus déterminante. La prédication ne vaut plus par son
contenu mais uniquement par sa capacité à éveiller dans les cœurs la vérité
qui s'y est endormie. Disons que dans cette perspective, tout enseignement
(celui du Christ, celui de l'Église ou celui du prêtre) apparaît comme
un simple confirmatur des requêtes spontanées de la conscience.
Toute
la philosophie romantique allemande est imprégnée de cette idée, qui
remonte au moins à Spinoza, grand contempteur des rigueurs de la parole
révélée. Le philosophe de Rotterdam s'opposait autant à ses
coreligionnaires qu'aux Églises instituées, puisqu'il refusait toute
autorité à la parole de Dieu, que ce soit dans l'Ancien ou dans le
Nouveau Testament. Admirateur du Christ, il voyait simplement en lui une
sorte de modèle, un héraut de la liberté de l'esprit, mais certainement
pas le précepteur de nos âmes. Il entendait substituer à l'obéissance
de la foi (juive ou chrétienne) l'élan libre de la pensée. Lorsque le
Concile déclare que la vérité se manifeste à la conscience humaine et
que sa force est la lumière qu'elle fait pénétrer dans l'esprit de
l'homme “ suavement et fortement ”, il se place objectivement du
côté de la liberté de l'esprit et déserte l'obsequium fidei, l'obéissance
de la foi. |